L'ancienne ministre de l'Environnement brésilienne et "champion de la Terre" (2013)

Izabella Teixeira: Le monde en crise climatique a besoin de lieux propices à l'espoir

CC Gie Goris (CC BY NC 2.0)

On le voit partout: le changement dont nous avons besoin prend forme, s’installe, progresse. Izabella Texeira renvoie aux marchés agricoles et les habitations partagées, manger végétarien et opter pour le vélo et les transports publics. Parallèlement, elle a bien assez d’expérience politique pour comprendre que les initiatives citoyennes se heurtent à des limites si les véritables centres de pouvoir ne veulent pas vraiment évoluer conjointement. Les élites économiques et les détenteurs du pouvoir économique supportent une grande responsabilité, elle ne le voit que trop bien dans son Brésil natal.

Mme Teixeira se trouvait à New York cette semaine pour le Sommet d’action sur le climat d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, et qui avait lieu mardi 24 septembre. Un appel à l’espoir formel animait presque les discussions. M. Guterres disait que l’on avait traversé le doom and gloom (la morosité et la sinistrose) et que le temps était maintenant à l’espoir. A l’exception de la sortie marquée de Greta Thunberg, tous les chefs d’Etat et de gouvernement repétèrent que le défi climatique était énorme, mais qu’il existait une réelle chance de l’entreprendre avec succès.

Ma première question à l’ancienne ministre brésilienne de l’Environnement et présidente actuelle du Groupe international d’experts sur les ressources était donc: cet accent sur l’espoir est-il fondé et à bon escient?

Izabella Teixeira: Il n’existe pas d’approche climatique correcte ou erronée. La seule question en jeu est: suivez-vous le mouvement ou restez-vous en retrait? Nous ne devons pas nous occuper des climatosceptiques et de leurs dites critiques mais du sentiment nécessaire d’urgence. Et nous avons besoin de tout le monde pour y arriver. Des scientifiques, des politiques, des groupes de la société civile. Des optimistes et des pessimistes. Des pays riches, des pays pauvres et de ceux en développement. Car il s’agit d’une crise que nous partageons tous, et nous en partagerons aussi les conséquences. C’est la raison pour laquelle il est aussi bien de pratiquer une approche et des solutions collectives. Des solutions doivent apparaître pour le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité sans oublier les inégalités et la pauvreté restante.

Si l’on appelle à l’espoir, il faut bien comprendre que le réchauffement climatique n’est pas seulement une affaire politique, mais bien de toute la société.

Toutefois, si l’on appelle à l’espoir, il faut bien comprendre que le réchauffement climatique n’est pas seulement une affaire politique, mais bien de toute la société. De ce fait, il était très important que le Sommet d’action sur le climat ne soit pas organisé pour la traditionnelle ribambelle de chefs d’Etats et de gouvernement, mais que la société ait également voix au chapitre: la société civile, les entreprises et surtout les jeunes. Cette implication de toutes sortes d’acteurs n’est pas construite sur la question de savoir s’ils nourrissent ou non un espoir, mais sur la question de savoir quelle action ils entreprennent, sur la base de leurs différentes possibilités et responsabilités. Vous pouvez difficilement surestimer l’importance des actions et mobilisations des jeunes. Ils ont réussi à inciter les dirigeants mondiaux à une plus grande ambition, à une action collective. Ce que Greta a réalisé, est énorme. Grâce à son action et à l’implication de milliers, de centaines de milliers et de millions d’autres, les jeunes ont obtenu la place pour dire aux politiques qu’ils échouent, que leurs actions et leurs mesures sont insuffisantes. L’existence de cette critique et l’oreille que l’on lui prête au plus haut niveau, voilà ce qui donne espoir.

Cela aide-t-il, d’entretenir l’espoir au Brésil?

Izabella Teixeira: Il y a cinq ans, le Brésil figurait à l’avant-garde d’une politique climatique et environnementale ambitieuse. Aujourd’hui, mon pays se retire définitivement. C’est pour moi clair après le discours tenu par le président Bolsonaro devant l’Assemblée générale des Nations unies ce mardi. C’est là que nous avons perdu notre voix, notre crédibilité et le respect du reste du monde. Nous avons, avec les gouvernements précédents, et depuis les Sommets de la Terre de 1992, approché doublement le problème: protection de l’Amazone et d’autres régions à forte biodiversité et encouragement de la production locale et du développement. Pour ce faire, nous avons réuni les communautés indigènes, la société civile et les autorités.

Cette approche est aujourd’hui perceptible car l’on ne voit plus de feux de forêt aux endroits où un tel déploiement local prend place.

Parce que les lieux propices à la biodiversité sont aussi la source de prospérité partagée, par laquelle ils deviennent aussi des lieux propices à l’espoir.

Parce que les lieux propices à la biodiversité sont aussi la source de prospérité partagée, par laquelle ils deviennent aussi des lieux propices à l’espoir. C’est de cette sorte d’espoir dont nous avons besoin: sur la base d’actions concrètes qui provoquent une amélioration de la vie communautaire. Il me laissent croire en la force de l’humanité à apporter des changements positifs.

Vous optez de cette manière pour le long chemin. Avons-nous le temps pour cela?

Izabella Teixeira: Affronter le problème du changement climatique est difficile, complexe et un projet de longue haleine. Vous ne pouvez pas facilement éteindre le système actuel pour en allumer un nouveau. Il n’y a pas d’interrupteur à disposition. Mais il ne s’agit pas non plus de tout devoir démarrer, il y a déjà de nombreux endroits où le changement est en cours. Une nouvelle langue se développe dans le monde de l’entreprise — mais il reste encore énormément à accomplir. Le changement s’installe, peut-être trop lentement, mais il y a un début.

La science est présente, il existe déjà de nombreuses technologies pour revirer vers une économie neutre en carbone, mais ce qui est également nécéssaire à présent, c’est que nous allons aussi partager le pouvoir. Tout le monde doit pouvoir participer au pouvoir décisionnaire. Nous devons mettre au point des façons de franchir les frontières nationales, nous devons bâtir de nouvelles coalitions. Nous devons aussi très certainement sortir le monde financier de sa tour d’ivoire ou de son château fort et le mettre en dialogue avec la société et la société civile. Nous devons réunir les scientifiques et les communautés locales, si bien que les modèles et solutions climatiques seront également taillés plus concrètement à la mesure des réalités très diverses. Dès lors, les conséquences pour des villes très concrètes, des lieux et communautés deviennent bien plus claires.

Celui qui rend ces conséquences de manière plus concrète, se voit aussi vite reprocher d’avoir des pensées apocalyptiques et les citoyens semblent parfois préférer croire que la situation n’est pas si catastrophique et que leur prospérité ou mode de vie de consommation acquis n’est donc pas menacé.

Vous pouvez aussi réagir rationnellement, prendre conscience des risques et essayer de maintenir l’équilibre en construisant des modèles alternatifs avec d’autres

Izabella Teixeira: Il est vrai que la population tient à sa zone de confort, et que cette dernière disparaît. Cela peut alors susciter de l’angoisse. Cela paralyse, vous appuyez sur le frein, vous vous focalisez sur l’entretien de votre propre bulle d’air. Mais vous pouvez aussi réagir rationnellement, prendre conscience des risques et essayer de maintenir l’équilibre en construisant des modèles alternatifs avec d’autres, et la connaissance fonctionnera alors comme une source d’espoir et de chance.

Tout va changer. Notre système alimentaire par exemple ne restera pas le même que le demi siècle passé. Et la population le sait. Partout l’on peut voir des marchés agricoles et des restaurants végétariens, souvent basés sur des légumes cultivés localement. La population adapte son comportement. Les jeunes cherchent des solutions alternatives et les aînés se voient ainsi incités à l’action. Et ce qui est tellement beau, c’est que la recherche des jeunes correspond dans de nombreux cas aux valeurs de nos grands- parents: vous ne gaspillez pas d’énergie, d’eau ou de nourriture, car c’est rare et précieux.

Vous renvoyez, avec raison, au système alimentaire non-durable, mais le Brésil a justement fondé son progrès sur une agro-industrie de monoculture, à grande échelle et industrielle.

Izabella Teixeira: Il ne faut pas construire l’avenir en se retournant vers le passé. L’agroindustrie nous a en effet aidé à évoluer d’un pays pauvre importateur de denrées alimentaires à un pays aux revenus moyens exportateur de denrées alimentaires et de biocarburant. Ce développement a aussi renforcé notre capacité technologique, mais a causé de nombreux dégâts à l’environnement, pas seulement en Amazonie, mais aussi dans le Cerrado. L’agriculture à grande échelle a aussi gagné du terrain dans l’État du Mato Grosso, au dépens de la forêt vierge.

Par conséquent, nous avons conclu un accord de protection de la forêt vierge, en accord avec Greenpeace, WWF et une instance scientifique de surveillance des opérations. Les grosses agroentreprises financent cet effort car de cette manière, ils peuvent continuer à offrir leurs produits sur le marché mondial. Les autorités misent aussi sur une bien plus grande transparence dans l’affectaction des sols. Tout cela est possible s’il existe une volonté politique d’y arriver, et donc également une société civile aux niveaux national et international, une pression des consommateurs, et des règles claires pour le commerce international.

Ces institutions et accords survivent-ils au président actuel?

Izabella Teixeira : C’est le problème, évidemment. Bolsonaro se targue des soixantes pourcent de territoire national sous statut protégé, mais il se garde bien de dire que c’est la conséquence d’un gouvernement qui tenait compte de la pression d’ONG locales et internationales.

Bolsonaro se targue des soixantes pourcent de territoire national sous statut protégé, mais il se garde bien de dire que c’est la conséquence d’un gouvernement qui tenait compte de la pression d’ONG locales et internationales.

Dans le même discours, le président s’insurge vivement contre tous les défenseurs de la nature et de l’environnement. De tels propos s’opposent précisément à notre approche qui part d’une importance centrale de l’environnement pour notre politique, avec entre autres un chapitre entier consacré à la protection écologique dans la Constitution. Ces choix étaient le résultat de notre lutte pour la démocratie, alors que le président actuel défend l’ancienne dicatature et y repense peut-être avec nostalgie. Ses valeurs n’ont rien à voir avec la société brésilienne, ses valeurs ou sa diplomatie. Les Brésiliens souhaitent toujours réunir les foules, alors qu’il vient à New York pour nous diviser.

Comment s’est-il alors fait élire?

Izabella Teixeira: Il a joué très habilement sur l’aversion de la corruption et les craintes relatives à la sécurité , qui dans les villes sont évidemment grandes et fondées. Et il s’appuie sur les églises évangéliques, et sur une fraction importante du monde des affaires qui a financé sa campagne, si bien que le président fracturerait l’économie et la modifierait à leur guise.

Que cela révèle-t-il sur le mantra des Nations Unies selon lequel les objectifs de développement durable ou un monde résilient au climat ne se réaliseront pas sans la contribution et la direction du secteur privé?

Izabella Teixeira: Le secteur privé n’est pas un monolithe. Le principal soutien de Bolsonaro venait du secteur agricole, et même l’agrobusiness est divisé. Il existe de nouvelles entreprises aspirant à une agriculture bas carbone parce qu’ils prenaient au sérieux la science liée au changement climatique et vous avez les entrepreneurs qui pensent toujours à court terme et ne se préoccupent que de l’accès au marché et non du climat. Le problème, c’est que les entrepreneurs plus progressistes ne sont pas représentés dans le très puissant parlement du Brésil. Ils travaillent bien avec des ONG afin de lutter contre la déforestation et oeuvrent à une meilleure réglementation de l’affectation du sol. Et les sondages montrent qu’il existe un grand soutien à cet axe d’action: plus de septante pourcent des personnes interrogées souhaite que l’on s’attelle à la lutte contre le réchauffement climatique, plus de quatre-vingts pourcent soutiennent la protection de l’Amazonie.

Vous étiez présente au Sommet pour la Terre de 1992 in Rio de Janeiro. Le couple environnement/développement ne s’est pas déroulé sans accrocs dans le quart de siècle.

Izabella Teixeira: Nous devons de toute manière faire preuve de plus de parcimonie avec les ressources, car il n’y en a tout simplement pas suffisamment pour répondre à tous les besoins d’une population croissante. Si l’on ne fait rien pour résoudre le problème, alors on peut déjà l’oublier. Nous le savions déjà en 1992, après le Rapport Bruntland. Aujourd’hui, c’est encore bien plus clair et répandu à travers le monde, même si les réponses et les solutions alternatives peuvent énormémément différer à l’échelle locale. Et nous en savons désormais bien plus sur la manière de rendre notre consommation d’énergie plus durable, sur la manière d’améliorer le développement…

La durabilité s’est érigée en tant que nouvel humanisme de ce siècle, la valeur centrale qui définit le mode de vie des hommes

La durabilité s’est érigée en tant que nouvel humanisme de ce siècle, la valeur centrale qui définit le mode de vie des hommes et la notion-clé de protection de la vie. Elle définit les relations entre les pays, les communautés et la population. Elle donne des poignées pour s’atteler aux inégalités sociales et pour donner une perspective pour mener une politique climatique. Pas seulement à l’avenir, mais dans l’immédiat, car les problèmes climatiques se posent aujourd’hui, le changement climatique est en cours et est tangible. La crise a lieu aujourd’hui.

La durabilité dont vous parlez exige-t-elle aussi une approche des inégalités au sein des pays? Peut-être même de mettre un plafond à la quantité de richesses dont quelqu’un peut disposer?

Izabella Teixeira: Bien entendu. Vous ne pouvez pas avoir sur une seule planète un groupe extrêmement riche et des milliards de pauvres. Nous devons mieux répartir les richesses et mieux comprendre la pauvreté, avec toutes ses conséquences telle que la migration et la dégradation environnementale. Il n’y a qu’ainsi que nous pouvons arriver à une politique commune, sur le plan national et multilatéral.

L’ordre multilatéral et la collaboration internationale devront bien changer radicalement, car le monde a radicalement changé. Il faut entre autres que l’Organisation mondiale du commerce soit intégrée aux Nations unies. Depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC, l’autre événement historique de 2001, les règles de commerce conclues là-bas concernent le monde entier, pas seulement les membres de l’OMC.

***

En arrière-plan de l’interview se faisait continuellement entendre le bruit d’une métropole sous la pression de l’Assemblée générale des Nations unies. Le président Trump est en ville, des dizaines d’autres chefs d’États et de gouvernement doivent se déplacer de l’hôtel vers l’assemblée et plus loin. Et cela se passe toujours toutes sirènes hurlantes, avec des rues et avenues barrées, et donc des embouteillages monstres qui font que retentissent encore plus fort ces sirènes et que les chauffeurs fatigués utilisent surtout leur klaxon.

Pour conclure l’entretien, je demande à Izabella Teixeira ce qui fait sa fierté, après une longue carrière politique, qu’elle construisit sur la base de références scientifiques et non politiques. Elle n’était en effet pas membre du PT, le parti de Lula et de Dilma Roussef.

Izabella Teixeira: Que je devais être la porte-parole de mon pays à un moment où nous travaillions ardemment à réunir la communauté mondiale et à agir ensemble pour l’avenir de tous, ce qui est encore nécessaire. Et que j’ai pu y contribuer.

Traduit du néerlandais par Geneviève Debroux

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