Barrages au Congo : une menace pour les poissons, et pour l’homme

Les barrages controversés d’Inga, le long du fleuve Congo, ont reçu le soutien de la Banque mondiale dans le cadre de programmes pour l’approvisionnement en énergie et la lutte contre la pauvreté. Certains remettent cependant en question les bienfaits de ces barrages, soulignant leur impact sur l’écosystème. MO* a interviewé plusieurs experts.

  • Cifor/Flickr (CC by-nc-nd 2.0) Jean Mombombi Nyangue pêche dans le Congo. (Lukolela, 2012) Cifor/Flickr (CC by-nc-nd 2.0)
  • USAID/Flickr (CC by-nc 2.0) Inga 1 (Congo, 2013) USAID/Flickr (CC by-nc 2.0)

Une équipe de quarante chercheurs veut attirer davantage d’attention sur la menace que représente la construction de barrages hydroélectriques aux abords de l’Amazone, du Mékong et du Congo pour la biodiversité et la pêche. Ils ont à cet effet publié un article dans la revue Science. Parmi ces quarante scientifiques se trouve Jos Snoeks, un chercheur attaché au Musée royal de l’Afrique centrale et à l’Université catholique de Louvain (KUL).

Les recherches de M. Snoeks se concentrent sur les poissons du Congo. Depuis les années soixante-dix, Inga I et Inga II endiguent de petites dérivations du fleuve. Cela fait cependant des années que ces barrages ne tournent plus à plein régime, faute d’un bon entretien.

Après Inga I et Inga II, il est aujourd’hui question des projets d’Inga III et de Grand Inga, qui pourraient répondre aux besoins en électricité de la moitié de l’Afrique. L’éventuelle construction de ces barrages est un sujet très brûlant pour la population locale; aucune décision définitive n’a toutefois été prise.

Une menace pour la diversité

 « À l’origine, le barrage Grand Inga devait endiguer tout le fleuve, mais ce projet a été abandonné », raconte M. Snoeks. L’endiguement partiel d’une rivière peut tout de même avoir de graves conséquences sur la biodiversité. « Lorsqu’un cours d’eau alimente un barrage, il s’assèche à certains endroits et met en péril le biotope de certains poissons, ce qui se traduit par la disparition des poissons habitués à un environnement riche en biodiversité. »

 « Un barrage a également une influence importante sur les poissons qui migrent pour se reproduire. Incapables de passer, ces poissons ne sont plus à même de remonter le courant pour se reproduire. Les barrages Inga I et Inga II n’ont jusqu’à ce jour pas grandement affecté les poissons, mais la construction de Grand Inga aura très certainement un impact considérable. Nous ne disposons toutefois pas de toutes les données concernant les poissons du Congo. »

USAID/Flickr (CC by-nc 2.0)

Inga 1 (Congo, 2013)

Un impact économique

M. Snoeks explique que certains poissons s’adaptent facilement à un nouvel environnement. « Ce sont souvent les poissons les moins intéressants sur le plan économique qui s’adaptent le mieux. Il y avait jadis une grande diversité d’espèces, un bonheur pour les pêcheurs, mais c’est fini dès qu’un barrage est construit. » Cette situation peut poser un vrai problème lorsqu’on sait que les populations vivant aux abords du Congo se nourrissent essentiellement de poisson.

Peter Bosshard, directeur de l’organisation International Rivers, se dit lui aussi inquiet. « Le Congo jouit de la plus grande diversité d’espèces de poissons, juste après l’Amazone. Nombre de ces espèces vivent à proximité des chutes Inga. Si une partie du fleuve Congo est dérivée pour alimenter des barrages, cela influe évidemment sur la pêche. Un environmental impact assessment (EIA) est nécessaire si l’on veut connaître avec précision les effets des barrages sur l’écosystème. »

Outre les barrages, d’autres activités de l’homme menacent la survie des poissons. En effet, la pose de lignes à haute tension implique la déforestation de certaines zones, ce qui engendre une migration des hommes et des animaux. Un EIA précis est donc essentiel pour évaluer l’incidence de chacun de ces facteurs.

M. Snoeks et M. Bosshard déplorent tous deux que cette étude n’ait lieu que maintenant, alors que les plans du barrage sont déjà prêts. « Ceci illustre le manque d’intérêt des pouvoirs publics pour la dimension sociale et écologique de ces projets. Dans ce contexte, l’étude est réduite à une simple formalité », souligne M. Bosshard.

Un facteur décisif ?

Ceux qui déclarent que l’énergie ne peut être exploitée sans mettre en péril l’écosystème sont fréquemment accusés de freiner le développement de l’Afrique.

 « Les arguments économiques l’emportent sur les considérations écologiques. C’est précisément ce que nous dénonçons dans notre article paru dans Science », explique M. Snoeks. « Les effets négatifs révélés par l’environmental impact assessment sont généralement présentés de façon édulcorée. Nous voulons trouver un juste équilibre entre la production d’énergie et la préservation des richesses naturelles. »

De l’électricité pour le peuple congolais ?

Une question que se pose Pol Vandelvoort, qui suit la politique de la Banque mondiale pour 11.11.11, est la suivante : « La construction de ce barrage va-t-elle résoudre les problèmes d’approvisionnement en électricité en République démocratique du Congo, à l’heure où 90% des Congolais n’y ont pas accès ? C’est peu probable. »

 « Au vu des moyens très limités de l’État congolais, il ne sera pas capable de financer le projet Inga avec des fonds publics. La construction du barrage nécessitera donc la participation d’investisseurs issus du secteur privé. Inga III serait ainsi le fruit d’une collaboration entre le secteur privé et le secteur public. Mais, pour l’instant, aucun investisseur n’a été trouvé. »

« Il est déjà presque certain que l’électricité produite ne sera pas destinée aux populations locales. »

Des fonds fournis par la Banque mondiale ont cependant été alloués à un projet d’Assistance technique (TA) pour Inga III. La Banque mondiale est une institution publique créée en 1944 lors de la signature des accords de Bretton Woods. La mission officielle de cette institution est de « combattre la pauvreté dans le monde ».

 « Il est déjà presque certain que l’électricité produite ne sera pas destinée aux populations locales. Un peu plus de 50% de l’énergie produite alimentera l’Afrique du Sud, qui fait face à une pénurie en électricité. Certains pensent même que l’électricité d’Inga III pourrait être consommée en Europe. Dans la République démocratique du Congo (RDC) même, ce sont les exploitations minières qui en bénéficieront.

Une aide au développement dépassée

La vente d’électricité pourrait stimuler l’économie de la RDC. En outre, l’accès à l’électricité favoriserait la croissance des exploitations minières et de certaines petites entreprises de Kinshasa.

 « Dans un État aussi fragile et corrompu que le Congo, l’argent est rarement utilisé comme il le devrait… »

C’est une illusion de croire que la construction de barrages résoudra la pénurie d’électricité subie par les populations locales. Et pourtant, la lutte contre la pauvreté doit être l’objectif premier des projets auxquels la Banque mondiale accorde un prêt. L’argument avancé est que, même si l’électricité produite ne bénéficie pas directement à la population, elle stimulera l’activité économique du pays et profitera donc à tout le peuple congolais.

 « En théorie, ces fonds pourraient financer des programmes pour l’enseignement ou la santé. Mais dans un État aussi fragile et corrompu que le Congo, l’argent est rarement utilisé comme il le devrait…», souligne M. Vandevoort.

Selon Peter Bosshard, les projets des barrages Inga engloutissent tous les fonds nécessaires au développement du secteur de l’énergie en Afrique du Sud. « Les énergies solaire et éolienne sont des moyens bien plus efficaces de fournir de l’électricité aux populations pauvres d’Afrique. Il est grand temps que la Banque mondiale change de cap et investisse dans les énergies renouvelables. La construction des barrages Inga symbolise une vision complètement dépassée de l’aide au développement.

Cifor/Flickr (CC by-nc-nd 2.0)

Jean Mombombi Nyangue pêche dans le Congo. (Lukolela, 2012)

La contribution belge à la Banque mondiale

La Belgique jouit d’un rôle important au sein de la Banque mondiale : notre pays est actuellement président d’un des plus importants groupes du Conseil des Administrateurs, lequel rassemble au total 25 groupes de pays. La Belgique et neuf autres pays sont ainsi représentés par Frans Godts, qui travaille pour le département international du ministère flamand des Finances, dirigé par Johan Van Overtveldt (N-VA).

Ce Conseil des Administrateurs détermine notamment quels projets bénéficieront d’un prêt ou d’un don de la Banque mondiale. « Par sa position au sein de l’organisation, la Belgique peut fortement influencer la façon dont des budgets colossaux sont utilisés. La Belgique a donc de très grandes responsabilités », explique M. Vandevoort. La contribution de la Belgique au budget de la Banque mondiale provient des fonds destinés à l’aide au développement.

Une absence flagrante de transparence

Selon M. Vandevoort, l’État belge refuse de faire des déclarations publiques au sujet de sa position vis-à-vis des projets de la Banque mondiale, comme par exemple  le projet d’Assistance technique destinée au barrage Inga : « Les fonds de la coopération au développement versés à la Banque mondiale sont financés par le contribuable. Ce  fonctionnement est antidémocratique. En tant que citoyen, je pense que nous avons le droit de savoir comment notre argent est utilisé. »

 « En tant que citoyen, je pense que nous avons le droit de savoir comment notre argent est utilisé. »

La Belgique a-t-elle déjà participé au financement des barrages Inga ? Oui, indirectement, selon M. Vandevoort. « Notre pays ne finance aucun projet en particulier, mais elle finance l’IDA (Association internationale de développement). Il s’agit d’une agence de la Banque mondiale qui offre surtout des prêts et des dons aux pays à bas revenus. Le Congo a cependant bénéficié d’un soutien financier direct de la Belgique lors de la construction des barrages Kanga I et II, dans le cadre de la politique de coopération au développement. »

 « Inga III et Grand Inga ne sont pour l’instant qu’au stade de projet. Il n’a pas encore été décidé si elles verront le jour ou non. Pour l’instant, il n’existe qu’un projet d’Assistance technique (TA) pour Inga III, financé par l’IDA. Le coût de ce projet s’élève à 106,5 millions de dollars. 73,10 millions sont couverts par l’IDA, et le reste par la Banque africaine de développement. « Dieu seul sait quand une ampoule s’allumera grâce à cette centrale hydroélectrique, présentée comme une des plus grosses au monde. »

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