TTIP: une aubaine pour les pays en développement ?

Pas de doute pour la Commission européenne : le grand accord de libre-échange et d’investissement entre l’UE et les Etats-Unis regorge d’avantages pour les pays en développement. Même son de cloche du côté du ministre De Croo. Mais sur quels faits repose donc une telle assertion ? « Les hypothèses mises en avant sont utopiques. »

CC Jit Bag (CC NY 2.0)

 

Le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) souffre d’un déficit d’image croissant.

« Pour éviter tout nivellement par le bas, nous devons faire valoir les meilleures normes possibles. »

Pour pallier ce problème, la Commission européenne a récemment opéré une fuite en avant tout à fait inopinée, alléguant que le TTIP, outre ses présumées retombées positives pour le citoyen européen, constitue également une aubaine pour les pays en développement.

La Commission fonde son optimisme sur une étude menée par l’institut allemand Ifo et commandée par le ministre allemand de la Coopération au développement.  

« Grâce au TTIP, la plupart des produits d’importation ne seront plus soumis qu’à une seule et unique norme », a expliqué Marc Vanheukelen (chef du Département du commerce de l’UE, la DG commerce) au site d’informations EurActiv, lors de la présentation de ladite étude à Berlin.

« Le traité stimulera ainsi l’activité des pays exportateurs vers le marché transatlantique. Selon la Commission, les « pays tiers » bénéficieront eux aussi des débouchés à l’exportation liés au TTIP.

Sollicité pour une réaction, le ministre belge de la Coopération au développement Alexander De Croo brandit le même argument.

« La coopération normative entre l’UE et les Etats-Unis vise à faciliter l’accès aux marchés européen et américain, en permettant justement aux producteurs des pays tiers de ne plus devoir satisfaire des normes différentes en matière d’exportation vers l’UE et les Etats-Unis.

En outre, le TTIP entend promouvoir des normes élevées en termes de travail et d’environnement à l’échelon international. »

Comment la Belgique va-t-elle s’assurer que l’on optera bel et bien pour les normes les plus pointues ? Réponse du ministre : « Pour éviter tout nivellement par le bas, nous devons faire valoir les meilleures normes possibles ; celles-ci seront définies à l’issue des négociations. »

Raison pour laquelle, ajoute le ministre, il est crucial que les normes mondiales soient déterminées par l’accord négocié entre l’UE et les USA et non pas par l’accord de libre-échange américano-asiatique, le TTP, également en gestation.

Toutes les études ne se ressemblent pas

Une réforme de l’ensemble du système de commerce mondiale n’est pas réaliste et ne figure d’ailleurs pas à l’ordre du jour des négociations.

L’optimisme nourri autour de l’impact positif du TTIP sur le Sud, basé sur l’étude de l’Ifo, semble pourtant à tout le moins unilatéral. « Dans notre étude, nous identifions deux tendances qui se contrebalancent mutuellement », déclare le professeur et chercheur en chef Gabriel Felbermayr.

« D’une part, la croissance économique en Europe et aux Etats-Unis (une conséquence potentielle du TTIP) renforcera la demande d’importation. Or, les marchandises concernées sont principalement produites en dehors de l’UE et des Etats-Unis. »

A cet égard, Felbermayr épingle l’huile de palme indonésienne et le cacao ghanéen.

« D’autre part, le TTIP génère une distorsion de marché. Prenons le cas du Bangladesh, un pays dont nonante pour cent de la production textile est destinée au marché de l’UE et des Etats-Unis.

Si ces derniers venaient à lever les tarifs à l’importation sur les vêtements européens, des pays tels que la Roumanie et la Bulgarie jouiraient des mêmes conditions de compétitivité. Au final, le Bangladesh perdrait des parts de marché. »

L’étude Ifo conclut que les deux tendances s’équilibreront entre elles et que, par conséquent, les retombées d’un traité de libre-échange UE-USA pour les pays en développement seront « limitées ».

CC IFA (CC BY-NC 2.0)

 

Etrangement, le professeur Felbemayr était parvenu à une tout autre conclusion en 2013. « Les pays en développement sont les grands perdants », affirmait-il alors dans une étude mandatée par la fondation allemande Bertellsman.

« Au sommet de la liste des perdants, on retrouve la Côte d’Ivoire et la Guinée, dont les biens d’exportation sont balayés du marché européen par les produits américains. »

Pourquoi donc l’étude réalisée à la demande du gouvernement allemand aboutit-elle à une conclusion plus modérée ?

Felbermayr qualifie pour sa part la nouvelle méthodologie de « plus réaliste » : désormais, on tiendrait compte du type de production propre aux pays évoluant hors de la zone couverte par le TTIP.

« Nous n’avions pas établi la moindre différence entre la structure de production de l’UE et celle d’un pays comme le Ghana. Cette approche s’avérait bien trop simpliste. »

L’ong Foodwatch Allemagne pointe, quant à elle, une autre raison pour expliquer le scénario idéal décrit dans l’étude de l’Institut Ifo. « Les hypothèses mises en avant dans l’étude sont utopiques sur le plan politique », affirme le porte-parole Martin Rücker.

« Pour générer des retombées positives à l’égard des pays en développement, les chercheurs tablent sur une série de mesures politiques, impliquant une réforme de l’ensemble du système de commerce mondial. Cette liste n’est pas réaliste et ne figure pas au sein des négociations actuelles autour du TTIP. »

Hourra. On n’est pas plus avancé

« les produits agricoles bon marché en provenance de l’UE et des Etats-Unis inonderont le marché des pays pauvres, et ce dans des proportions inégalées à l’heure actuelle. »

L’étude Ifo doit encore essuyer une autre critique : en quoi les effets macro-économiques répercutés sur des pays entiers contribuent, dans les faits, à la répartition de la prospérité dans le monde ?

« L’étude omet totalement les conséquences du TTIP sur les droits économiques et sociaux des populations au sein des pays en développement », assène Sven Hilbig de Brot für die Welt, une ong allemande qui suit le dossier de près.

« Ainsi, l’étude n’aborde pas le lien de cause à effet entre une hausse de la demande en matières premières et des répercussions négatives liées à l’extraction de minerais et à la production de combustibles fossiles : violations des droits de l’homme, conflits autour des droits fonciers, pollution de l’eau pluviale engendrée par des métaux lourds, etc. »

Le sort des petits paysans préoccupe particulièrement l’ong. « Les débouchés commerciaux issus du TTIP profiteront principalement à l’agro-industrie, avec pour conséquence de mettre en péril la sécurité alimentaire de centaines de millions de petits paysans, pêcheurs et bergers.

En effet, les produits agricoles bon marché en provenance de l’UE et des Etats-Unis inonderont le marché des pays pauvres, et ce dans des proportions inégalées à l’heure actuelle. »

CC Martijn Meijerink (CC BY-NC-ND 2.0)

 

L’eurodéputée et ex-dirigeante syndicale Agnes Jongerius (PvdA) abonde dans ce sens et craint que les pays en développement n’aient rien à gagner d’un tel traité.

Elle s’interroge en effet sur la véracité des chiffres de croissance économique pour la zone couverte par le TTIP, ainsi que sur les effets bénéfiques supposés qui en découleraient.

« Les retombées positives du TTIP dépendent d’une convergence des normes entre l’UE et les Etats-Unis », déclare-t-elle, « car on part du principe que les règles du jeu seront identiques pour les deux parties.

Par contre, si des personnes manifestent leur inquiétude vis-à-vis de la qualité alimentaire ou, comme moi, des droits sociaux, la Commission européenne leur rétorque : ‘Cela n’a aucun sens car nous ne renoncerons pas à nos propres normes’.

Si on poursuit le raisonnement, on peut donc légitimement douter des bénéfices colossaux que les pays en développement pourraient retirer du TTIP. »

On ignore en fait dans quelle mesure les Etats-Unis et l’UE parviendront à harmoniser leurs réglementations. A l’aune de cette nébuleuse, Felbermayr reconnaît que son étude tire des plans sur la comète. « Honnêtement, beaucoup de points d’interrogation subsistent. On n’a aucune idée du résultat des négociations. »

Le commerce, synonyme de développement ?

En cas d’accord, le Niger verrait la part de ses importations vers les USA décroître de 12,1 pour cent.

Du côté de la ministre néerlandaise de la Coopération au développement et du Commerce, Lilianne Ploumen, on se veut plus rassurant. « Certes, les pays en développement pourraient pâtir de la perte de certains avantages et d’une concurrence accrue », affirme son attaché de presse Sietze Vermeulen.

« Mais, selon les prévisions générales, l’impact positif du TTIP sur les pays à moyens et bas revenus devrait dépasser l’impact négatif. » Vermeulen s’appuie en fait sur une étude menée par l’université du Sussex et commandée par le gouvernement britannique.

L’étude du Sussex conclut que les retombées négatives pour les pays en développement seront « minimes ».

Les mêmes scientifiques prévoient toutefois que, pris individuellement, certains pays seront sensiblement affectés par le TTIP. A titre d’exemple, le Niger verrait la part de ses importations fondre de 12,1 pour cent.

Selon Vermeulen, le tableau esquissé par Brot für die Welt des effets sur les petits paysans au sein des pays en développement ne correspond pas à la réalité.

« S’il est envisageable que des producteurs américains et européens profitent de la réduction des coûts au sein du marché transatlantique pour exporter à moindre frais leurs marchandises à destination des pays tiers, il n’est, en revanche, absolument pas question d’« inonder » le marché de ceux-ci avec des produits agricoles bon marché ».

Vermeulen renvoie une nouvelle fois à l’étude de l’université du Sussex. Or, cette dernière ne mentionne à aucun moment les conséquences d’un possible dumping agricole sur les pays en développement. 

« Le commerce contribue au développement », telle est la conviction du ministre De Croo. C’est pourquoi la Belgique, en tant qu’économie ouverte, insiste toujours sur l’importance de règles commerciales multilatérales.

Le gouvernement belge précédent s’est par ailleurs engagé à œuvrer à une véritable politique de cohérence, qui intégrerait systématiquement les intérêts des pays en développement dans d’autres domaines tels que le commerce. Ce chantier est en cours, confirme le ministre.

« Plusieurs arrêtés royaux de 2014 en constituent le fondement. On a ainsi instauré un Conseil consultatif en matière de cohérence des politiques (déjà opérationnel) ainsi qu’une Commission interdépartementale (en préparation). »

Le lundi 23 mars, un séminaire autour de la cohérence des politiques et de la coopération au développement se tiendra par ailleurs au Parlement fédéral. L’occasion idéale de porter un regard critique sur le soutien accordé par le gouvernement au TTIP.

 

Article traduit du néerlandais par Julien-Paul Rémy.

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