Les cheveux africains : un symbole politique

Si Michelle Obama avait eu une afro quand son mari se portait candidat aux élections présidentielles, il ne les aurait pas remporté. Voilà ce qu’affirme l’auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie dans son roman Americanah. Une affirmation étonnante, certes, mais pas impensable.

​L’afro imposante d’Angela Davis, membre fervente du mouvement des Black Panthers, s’est convertie en une icône de la culture afro-américaine.

À en croire Chimamanda Ngozi Adichie, l’afro de Michelle Obama aurait eu de multiples significations pour l’Amérique blanche – dont aucune n’aurait été positive. Cette coiffure aurait témoigné de son caractère militant, mécontent ou dilettante car, que les Noirs le veuillent ou non, leurs cheveux crépus sont politiques. L’auteure entend par là que la forme naturelle des cheveux africains ne correspondant de toute façon pas à l’idéal de beauté, le fait de les laisser pousser librement fait figure d’ostentation.

Imaginons toutefois que Michelle Obama ait réellement eu une afro. Que serait-il advenu ? Sa coiffure aurait été associée au mouvement militant Black Power des années 1960, époque où la plupart des pays africains prenaient leur indépendance et le mouvement des droits civiques des Afro-américains battait son plein.

Un sentiment de fierté et de conscience raciale était né au sein de la communauté africaine. Les Afro-américains portaient fièrement leur coiffure, en réaction à un idéal de beauté qu’ils considéraient raciste : le culte des cheveux lisses. L’afro s’imposa dans un climat politique et émotionnel créé par le mouvement des droits civiques, qui déchaînait les passions, l’espoir et la fureur de la communauté noire.

Le Black Panthers Party, inspiré par Malcolm X, doit sa fondation en 1966 à Huey Newton et Bobby Seale. Ils se firent remarquer par leur insubordination au mouvement modéré des droits civiques. Armés, ils patrouillaient dans les rues d’Oakland, Californie, pour manifester contre les excès de violence policière commis envers les Afro-américains.

Ce qui débuta en Californie évolua en un mouvement national aux membres vêtus de vestes de cuir noir. La photo d’Angela Davis, cette membre assidue des Black Panthers, et de sa coiffure afro érigea cet autre signe distinctif du mouvement au statut de symbole de la culture afro-américaine.

Les militants des Black Panthers contribuèrent à l’avènement d’une black pride et d’une conscience afro-américaine au sein de la communauté.

Un débat animé entoure la manière dont les panthères militantes exprimèrent leurs revendications et s’opposèrent à la police. Une chose est tout de fois indiscutable : elles contribuèrent à l’avènement d’une black pride et d’une conscience afro-américaine au sein de la communauté, des sentiments jusque là réprimés par l’esclavage, la ségrégation et la position de citoyens de seconde zone qu’occupaient les Afro-américains dans la société.

Allant plus loin que la question de l’apparence, les Black Panthers visaient également l’amélioration de la place de leur communauté dans la société et dans l’économie. Un enseignement qui aborderait la véritable histoire des Afro-américains, des logements décents, des soins de santé gratuits et le plein-emploi pour leurs concitoyens étaient quelques-uns des points de leur programme. En quelques années, le parti se désagrégea, notamment à la suite de mesures d’intimidations et d’actions du FBI.

Good Hair

Dans les années qui suivirent la chute des panthères, les afros cédèrent leur place aux cheveux lisses. Les femmes africaines de tous horizons voulaient ressembler à l’idéal de beauté dominant. Elles appliquaient à cette fin des produits chimiques lissants sur leurs cheveux et se faisaient poser des tissages ou des extensions capillaires pour se débarrasser de leurs cheveux frisés.

En 2014, le bureau d’études de marché Mintel projetait que la valeur de ce marché, estimée à plus de 600 millions de dollars, dépasserait les 500 milliards de dollars si tous les éléments étaient comptabilisés. Les femmes noires poursuivent un idéal bien précis, et cela leur coûte cher. Le manque de représentation dans les médias n’aide pas vraiment.

Il suffit d’ouvrir un magazine pour le voir : la majorité des femmes y sont blanches et ont les cheveux lisses.

De tous temps, les cultures dominantes ont défini les objectifs et les valeurs en place. Pas étonnant dès lors que les idéaux esthétiques soient ceux des Occidentaux. Toutes les grandes institutions influentes (la mode, Hollywood, les médias, la littérature – de la non-fiction aux contes pour enfants) présentent depuis des siècles la blondeur, la minceur et la blancheur comme des signes extérieurs de beauté et de réussite. Il suffit d’ouvrir un magazine pour le voir : la majorité des femmes y sont blanches et ont les cheveux lisses. Et quand une femme noire orne la couverture, ses cheveux sont aussi raides que ceux de la femme blanche générique – voyez plutôt Beyoncé et Michelle Obama.

La représentation est essentielle ; Chris Rock l’a découvert lorsque sa petite fille lui posa un jour la question : ‘Daddy, how come I don’t have good hair ?’ (Papa, pourquoi j’ai pas de beaux cheveux ?). Il décida alors de mener l’enquête et de présenter le résultat dans le documentaire Good Hair (2009). Ses recherches lui apprirent que l’immense majorité des femmes afro-américaines veulent s’affranchir de leurs cheveux crépus, coûte que coûte. Deux raisons à cela ; elles trouvent leur chevelure naturelle indomptable et elles ont intégré l’idée que la beauté des cheveux occidentaux est supérieure.

Good Hair montre Chris Rock interroger des personnes à la peau foncée – Ice T, Salt-N-Pepa et la rappeuse Eva – sur leur rapport à leurs cheveux. Sandra Denton, l’artiste hip-hop connue pour sa participation au trio Salt-N-Pepa, lui a même confié qu’une pose trop prolongée des produits chimiques lissants était à l’origine de sa coiffure asymétrique dans le clip ‘Push it’.

La représentation joue un rôle central dans les esprits et dans la catégorisation de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. Avec sa publicité de 2014  qui représentait un homme noir jetant au loin sa coiffure afro sous le slogan Re-civilize yourself, Nivea s’était attiré beaucoup de critiques. Le contenu raciste de la campagne fut pointé du doigt. Nivea présenta publiquement ses excuses et retira l’image.

Opposition

L’Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie est une histoire d’amour, un roman sur la migration, les races et les cheveux africains réunis sous la même couverture. Un jour, quelqu’un conseille à la protagoniste, Ifemelu, de défaire ses tresses et de défriser ses cheveux avant de se rendre à un entretien d’embauche. Sinon, elle n’aura aucune chance, la prévient-on.

Ce genre d’histoires paraît régulièrement dans les médias. En 2014, l’armée américaine était au centre d’une controverse après avoir décrété que les styles capillaires africains, comme les tresses et les afros, ne sont pas soignés et donc interdits – sous l’excuse de vouloir préserver l’uniformité parmi les soldats. Au vu des critiques, l’armée s’est vite rétractée.

Et ces histoires ne se limitent pas aux frontières de l’Oncle Sam. L’année passée, l’école élitiste Pretoria Girls High en Afrique du Sud créait elle aussi la polémique en demandant à ses élèves de défriser leurs cheveux. Les filles qui se coiffaient en afro ou qui avaient des tresses devaient se présenter avec des cheveux lisses.

Quiconque sait à quoi ressemble un cheveu africain, sait aussi que la gravité n’a pour ainsi dire pas de prise sur lui. Il ne retombe donc pas comme un cheveu de Blanc, mais s’élance vers le ciel. Quand une école exige de ses élèves qu’elles défrisent leurs cheveux, elle les oblige par conséquent à employer des produits chimiques, un fer à lisser brûlant, une perruque ou des extensions. Les étudiantes fatiguées d’être contraintes de ruiner leurs cheveux pour s’approcher de l’idéal de beauté occidental ont manifesté des jours durant dans les rues.

Commonwealth Foundation/Colin Patterson (CC BY-NC-ND 2.0)​

L’auteure Chimamanda Ngozi Adichie donnant une conférence pour la Commonwealth Foundation

Bien que le règlement scolaire ne mentionne pas les cheveux crépus, les étudiantes noires se sont plaintes de fréquentes remarques de la part de la direction à propos de leur coiffure. En 24 heures, une pétition contre le racisme dans l’école a rassemblé plus de 15 000 signatures et provoqué une vague de réactions sur les réseaux sociaux.

Le ministre de l’Art et de la Culture, Nathi Mthethwa, déclara dans un tweet que ‘les écoles ne devraient pas être un lieu bridant les élèves voulant embrasser leur identité africaine.’ La direction de cette école élitiste, qui n’admettait que des enfants blancs jusqu’en 1994, n’encourage pas la pratique de langues autochtones comme le xhosa, pour employer un euphémisme. Les élèves noires qui rapportent cette politique de l’école la considèrent comme une répression de plus de leur identité africaine.

Nappy is beautiful

Le néologisme nappy est la contraction de l’anglais natural et happy ; il décrit les personnes qui laissent leurs cheveux crépus pousser comme la nature l’entend et portent leurs bouclettes avec fierté. Dans Americanah, Ifemelu, lassée de cosntamment défriser ses cheveux, décide de les couper courts pour enfin les laisser pousser. À partir de cet instant, elle arrête d’utiliser des produits pour lisser sa chevelure.

Ces dernières années, un mouvement de femmes noires laissant leurs cheveux pousser naturellement s’est organisé ; elles veulent de cette manière manifester la fierté de leurs origines. Si le mouvement a vu le jour aux États-Unis, il s’est depuis répandu au Ghana, au Kenya et même aux Pays-Bas.

Jon Gurinsky (CC BY-NC-ND 2.0)​

Solange Knowles, la jeune sœur de Beyoncé, arbore depuis des années une coiffure naturelle.

Les médias montrent de plus en plus de célébrités noires aux mèches naturelles. Solange Knowles, la jeune sœur de Beyoncé, arbore depuis des années une coiffure naturelle. Dans le clip de son dernier single, Don’t touch my hair, elle présente la diversité des cheveux africains.

Les stéréotypes négatifs sur les Noirs se sont frayés un chemin dans les esprits, y compris en Afrique.

L’année passée, Blancs comme Noirs, tous avaient un commentaire à faire sur les cheveux de la fille de Beyoncé, Blue Ivy. Sur les réseaux sociaux, les avis tendaient à recommander à la mère de passer un peigne dans les cheveux de l’enfant. Rien de plus normal, pour la propre fille de la weave queen, non ? Beyoncé ne s’est pas laissée faire. Les cheveux de sa fille continuent de pousser. Vers le ciel. Selon la nature des cheveux crépus.

Les stéréotypes négatifs sur les Noirs se sont frayés un chemin dans les esprits, y compris en Afrique. Autrement dit, là-bas aussi, les femmes défrisent leurs cheveux et portent des extensions. Mais le changement est en marche. Au Kenya, des ateliers apprennent aux femmes à coiffer leurs cheveux au naturel, tandis qu’au Ghana, des marques de mode ne font défiler que des mannequins nappy. Chez nous, les jeunes sont de plus en plus nombreux à affirmer leur identité. L’asbl Kilalo organisait l’année passée une série d’événements autour du thème des cheveux africains; un large public fut au rendez-vous.

Exemple

Au Nigéria, la poupée en tête des ventes n’est pas une Barbie, mais une Queen of Africa. L’entrepreneur Toafick Okoya créa cette poupée en 2007 après avoir constaté qu’aucun jouet sur le marché ne ressemblait à sa fille. Ses poupées à la peau foncée existent en différentes teintes, de la plus claire à la plus foncée. Toutes ont des cheveux africains coiffés de différentes manières et portent des vêtements traditionnels aux couleurs vives.

Des femmes qui ont appris à aimer leur chevelure, en dépit du manque, voire de l’absence totale d’exemples dans les médias, ont inventé des moyens pour aider les autres à suivre leur exemple. L’Américaine Lindsey Day s’est de cette façon lancée dans la publication d’un magazine à la gloire des cheveux crépus, sous toutes leurs formes. ‘Nous voulons que les femmes ouvrent notre magazine et s’y reconnaissent. La plupart des femmes que nous mettons en avant ne sont pas mannequins. Ce sont des femmes normales, elles sont absolument magnifiques,’ déclarait la responsable dans une entrevue acordée au Huffington Post. Ou comment montrer l’exemple sans pour autant être femme de président.

Cet article est paru en néerlandais dans le dernier numéro de MO*magazine. Abonnez-vous ici pour 28 € seulement !

Traduction : Marie Gomrée

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Over de auteur

  • Lisa Akinyi May werd geboren en getogen in Kenia, studeerde journalistiek in België en werkte al voor het humanitaire nieuwsagentschap van de VN, Gazet van Antwerpen en de VRT Nieuwsdienst.

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