Est du Congo : parler ou continuer à subir

Dans l’écheveau complexe de la violence qui règne à l’est du Congo, les milices rwandaises des FDLR sont considérées aujourd’hui comme les principaux coupables. Beaucoup des membres de cette milice, qu’on a coutume d’appeler au Rwanda ‘les génocidaires’, ont été enrôlés parmi les deux millions de réfugiés qui ont fui au Congo à la suite du génocide rwandais. John Vandaele a enfilé ses chaussures de marche et sillonné la forêt vierge pour étudier ces affreux personnages de visu. Il y a vu peu de génocidaires, mais beaucoup de misère profonde. Son expédition l’a amené à découvrir une image plus nuancée de l’est du Congo, où la responsabilité de Kinshasa, et surtout celle de Kigali, n’est pas vraiment passée sous silence.
  • John Vandaele John Vandaele
Les dizaines de milliers de réfugiés rwandais, qui errent depuis quinze ans à travers tout le Congo, se cachent au plus profond de la forêt congolaise. Ce n’est qu’au prix de contacts répétés avec le chef des FDLR (Forces démocratiques pour la Libération du Rwanda) et d’une expédition interminable à travers la forêt vierge – par monts et par vaux, sur des chemins glissants et embroussaillés et qui nécessite la traversée d’une rivière – que nous finissons par repérer un petit groupe de réfugiés. J’avais rarement vu des gens aussi désespérés que ces sept familles rencontrées à Bitengo. À notre arrivée, pas un sourire, à peine un bonjour. Chacun regarde devant lui d’un air consterné.
Ce n’est qu’une fois que nous parvenons à leur faire raconter leur fuite perpétuelle que les langues se délient un peu. Leurs histoires se ressemblent toutes. Ils sont partis en 1994, pendant le génocide rwandais, pour gagner les grands camps de réfugiés au Congo. En 1996, lorsque l’armée rwandaise, sous la direction de Paul Kagame, a commencé à mitrailler et bombarder ces camps, ils se sont enfuis plus loin au Congo. ‘Nous avons dû enjamber les cadavres’, raconte Patricia Nirasebura (50 ans).
D’ailleurs, le bombardement de ces camps est une chose que beaucoup de Congolais du Kivu n’ont ni comprise, ni oubliée : ‘Les cadavres s’entassaient. N’était-ce pas là un génocide ?’, entend-on régulièrement. Les réfugiés rwandais, qui continuaient d’avancer au Congo, n’avaient pas le temps de se poser cette question. Ils étaient pourchassés par l’armée rwandaise ou par l’armée dirigée par des Rwandais et que le Congo était en train de conquérir. Par la suite, il y avait toujours d’autres groupes, pilotés par le Rwanda, qui les traquaient, comme le Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) ou le Congrès national pour la Défense du Peuple (CNDP).
Patricia égrène la longue série de noms des endroits par lesquels ils sont passés, lorsqu’ils étaient ‘pris en chasse par l’armée de Kagame’. Revocat Maniragaba en fait de même. ‘Près de Katoyi, les Tutsis m’ont tiré dans la jambe et j’ai eu la gangrène. L’infirmier me l’a coupée à la machette’, dit-il froidement. ‘Si j’ai eu mal ? Oui, c’était insupportable.’ Durant leurs années de fuite, ces sept familles ont perdu plusieurs de leurs proches. Devant notre minicaméra, Olive Nirakanyana lance un appel pour retrouver sa mère. Elle n’a plus jamais eu de nouvelles d’elle depuis le bombardement du camp de Mugunga.
Bitengo, ce n’est pas un village. Ce sont les circonstances qui ont rassemblé ces gens ici : tous proviennent de différentes régions du Rwanda. ‘Nous allons parfois rendre visite à d’autres petits groupes similaires de réfugiés qui vivent près d’ici. Nous ne faisons jamais la fête. Même quand les gens se marient. Comment peut-on faire la fête ici ?’ À Bitengo, seules deux personnes ont plus de 34 ans. Elles sont donc les seules qui avaient plus de 18 ans au moment du génocide au Rwanda, une condition pour pouvoir être reconnu totalement responsable des crimes commis à l’époque.
‘Nous vivons ici comme des oiseaux’, nous confie Patricia, quand je demande ce qu’ils mangent. ‘Des bananes et des légumes. Depuis que les soldats de Kagame nous ont expulsés du village de Mungazi l’an dernier (l’action Umoja Wetu, au cours de laquelle les armées rwandaise et congolaise ont expulsé les FDLR et leurs sympathisants en début 2009, NDLR), il n’y a plus non plus d’école pour les enfants.’ Les soins de santé font aussi cruellement défaut ici.
Un homme, vêtu de guenilles, a la jambe droite toute gonflée suite à une blessure au pied. Médecins Sans Frontières, qui veut donner à tous un accès à des soins de santé dans l’est du Congo et qui négocie, dans cette optique, avec toutes les parties, a constaté que le 24 octobre 2009, l’armée congolaise a commencé à faire feu sur les sept endroits où elle vaccinait les enfants des FDLR contre la rougeole.
Patricia nous confie qu’elle aimerait rentrer au Rwanda : ‘Nous ne voulons pas partager le pouvoir au Rwanda. Nous voulons qu’on nous rende ce qui nous appartient et nous ne voulons pas être tués.’

un mensonge grand comme le Congo


Depuis l’année dernière, les FDLR et leurs populations civiles se sont enfoncées plus avant dans la forêt. Ça s’est fait comme ça. Jusqu’à la fin de 2008, l’armée congolaise combattait aux côtés des FDLR contre les « hommes du Rwanda » – qu’ils se fassent appeler RCD ou CNDP.
En conséquence, les FDLR et leurs « civils » s’étaient souvent installés dans des régions peuplées : ils avaient des magasins, fréquentaient les marchés, percevaient des taxes, bénéficiaient de soins de santé et leurs enfants allaient à l’école. Une sorte de modus vivendi s’était développé entre la population locale et les FDLR, bien qu’une relation entre personnes armées et personnes non armées soit rarement équilibrée.
Début 2009, les présidents du Congo et du Rwanda, Joseph Kabila et Paul Kagame, ont subitement conclu un accord de paix. Laurent Nkunda, qui mettait de temps en temps le feu au Nord-Kivu avec son CNDP, a été emprisonné au Rwanda, en échange de quoi Kabila a promis de s’occuper de la lutte contre les FDLR. Le leitmotiv « tout le monde contre le CNDP » est depuis lors devenu « tout le monde contre les FDLR ».
Le CNDP, qui compte de nombreux Tutsis parmi ses dirigeants, a été intégré à l’armée congolaise, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Cette armée a tout simplement tourné casaque et a commencé à tirer dans la direction opposée. C’est du moins la version théorique.
Les actions militaires visaient à éliminer les FDLR et/ou à faire retourner au Rwanda le plus grand nombre possible de militaires et de réfugiés. Le gouvernement congolais et les forces armées présentent ces opérations comme une réussite. La paix est à portée de main. Voilà bien un mensonge aussi énorme que … le Congo.
En réalité, le modus vivendi a été bouleversé et les FDLR se sont souvent rendues coupables de représailles sanglantes. Quant aux FARDC, elles s’en sont également pris aux civils. Ce qui s’est soldé par des centaines de milliers de réfugiés. Notre analyse nous apprend que la population congolaise n’est pas la seule à en avoir pâti ; cette situation a également fait de nombreuses victimes dans les rangs des réfugiés rwandais – dont le nombre est évalué à 40.000 à 80.000 personnes.
De plus, ces actions ne sont pas venues à bout des FDLR, qui continuent de contrôler un large territoire. En outre – suite au brusque retournement de situation –, les ennemis d’aujourd’hui, les FDLR et les FARDC, portent le même uniforme et les uns comme les autres s’expriment, la plupart du temps, en kinyarwanda. Lorsque les gens se font attaquer, ils ne savent bien souvent pas par qui. 

en route avec les fdlr


Bitengo est un endroit de la forêt vierge du Nord-Kivu que je n’ai pu trouver que parce que j’avais tout d’abord cherché à établir un contact avec le chef des FDLR, avec l’aide de notre collaborateur local Chrispin Mvano. C’est par GSM – le soir, Laforge, porte-parole des FDLR, est souvent perché sur une colline pour avoir une meilleure réception – que je suis conduit au colonel Sadiki Soleil, puis au major Régis Pilot.
Ce dernier séjourne avec ses hommes à Mungazi et à Kishanga, deux villages sous contrôle des FDLR. Tous deux se situent sur la route Masisi-Walikale et sont dès lors relativement faciles d’accès. La plupart des bastions des FDLR ne sont accessibles qu’à pied, au prix d’une marche bien plus pénible encore que celle qui m’a amené à Bitengo.
Le major Pilot occupe la seule maison construite en briques, où il dort sur un simple lit de camp. Ce n’est pas le genre de militaire à parader avec des chaînes en or. Les soldats ont souvent quelque chose d’insondable. On ne sait jamais ce qu’ils pensent vraiment. Dieu seul sait ce que ces jeunes gens ont déjà vécu. ‘Si j’ai tué beaucoup de gens ?’, demande l’un d’entre eux, Bosco, imperturbable. ‘Quelle question ! Il y a eu de nombreux combats et si tu tires et que tu vises bien, il y a des morts. C’est aussi simple que ça. Des cadavres, j’en ai vu beaucoup, bien sûr.’ Il n’a plus de famille du tout.
Les militaires ne détestent pas l’alcool – Bosco et Pilot sirotent de l’eau-de-vie déjà dès potron-minet –, mais je ne les vois jamais ivres. Lorsque je demande à avoir des contacts avec des réfugiés rwandais, le mystérieux Pilot est tout d’abord sceptique. ‘C’est trop loin, tu ne vas jamais y arriver. En plus, les familles vivent maintenant en petits groupes, pour des raisons de sécurité… je vais demander à quelques-uns d’entre eux de venir jusqu’ici.’ Une visite du camp militaire Matongo est impensable. ‘Tu y verrais trop de blessés’, me souffle quelqu’un.
Nous insistons et finalement, Pilot nous envoie à Bitengo, en compagnie de deux militaires FDLR – Jimmy Aristide et Bosco – et de Jean-Pierre, implacable éclaireur/braconnier/chasseur.
Tandis que nous gémissons, geignons et glissons dans la boue, Jean-Pierre progresse comme une gazelle, sans que perle la moindre goutte de sueur. Par moments, il nous tend l’un ou l’autre fruit sauvage ou contrôle un des pièges qu’il a tendus. Jimmy et Bosco doivent eux aussi constamment nous attendre, bien qu’ils portent à la fois leur kalachnikov et les bagages de Chrispin et les miens. Nous comprenons ainsi rapidement pourquoi les Congolais surnomment les FDLR les ‘hommes de la forêt’. Tandis que nous revenons de Bitengo, Jimmy essaie de nous soutirer une récompense. ‘Toi qui te plains tellement que tes chaussures glissent, pourquoi tu ne me les donnes pas ?’, demande-t-il.
Selon les FARDC, les actions militaires de 2009 ont éliminé les trois quarts des militaires FDLR et il n’en resterait que 1.500. Tant Laforge que Pilot rient de ce chiffre, mais ne pipent rien de plus. Peu de gens croient en l’arithmétique des FARDC. ‘À ce rythme, ils ne parviendront jamais à couvrir l’énorme distance qui sépare Lubero d’Uvira’, dit un étranger qui connaît le terrain.
Mungazi et Kishanga font partie d’une bande des zones aux mains des FDLR, large d’au moins trente kilomètres et atteignant parfois plus de cinquante kilomètres dans la forêt. Cette bande s’étend du Sud-Kivu au Nord-Kivu, sous forme d’une banane de plusieurs centaines de kilomètres. 
Lorsque nous arrivons à Mungazi, les militaires FDLR ont l’air plutôt à leur aise. Assis dans le village, cinq jeunes hommes armés sont en train de jouer avec leur GSM dans le seul endroit où le réseau est accessible.
Ce qui est sûr, c’est que la cohésion règne toujours au sein des FDLR. Laforge nous délègue au colonel Sadiki, qui nous envoie à son tour au major Pilot. Ce dernier a été muté, il y a huit mois, de Rutshuru à Mungazi par le haut commandement.

une relation de pouvoir


La mission de l’ONU au Congo (Monuc) s’occupe, entre autres, de la démobilisation des militaires FDLR. En 2009, elle a vu doubler le nombre de militaires FDLR qu’elle renvoyait au Rwanda, pour atteindre le nombre de 2.000. Ce qui est sûr également, c’est que les FDLR ont aussi enrôlé de nouvelles recrues en 2009. Ce qui ne se fait pas toujours en douceur. Parmi les militaires FDLR rapatriés, je rencontre deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui affirment avoir été pratiquement forcés d’aller se battre. ‘Ils m’ont attiré ici en m’assurant que nous deviendrions riches, si nous parvenions à conquérir le Rwanda. Et notre réalité, c’est une vie très dure dans la forêt. Nous avons souvent dû piller des villages.’ 
Les FDLR prétendent protéger les réfugiés rwandais ; d’autres parlent de prises d’otages. ‘La tâche n’est pas aisée pour ceux qui veulent rentrer au Rwanda. Ils errent souvent des jours durant avant de nous trouver’, affirme le responsable de la Monuc pour la démobilisation et le rapatriement à Goma. ‘Ils croient encore que les Tutsis vont les tuer.’ Cette crainte semble parfois justifiée. D’après l’ONU, entre le 27 et le 30 avril 2009, 129 réfugiés rwandais, selon les estimations, principalement des femmes et des enfants, auraient été massacrés à Shalio par une unité des FARDC dirigée par des gens du CNDP.
Les FDLR ne sont pas équipées pour mener un combat en règle ; elles sont, par contre, capables de se maintenir dans des régions inaccessibles d’où elles peuvent, si nécessaire, engendrer un climat d’insécurité. Quand le major Pilot veut se rendre de Mungazi à Kishanga, il doit le faire à pied. Il n’y a pas de voitures. Il y a quelque chose de grotesque à le voir parader sur la route avec nous, flanqués de deux militaires devant et derrière nous. Il nous faut quasiment une heure pour parcourir quatre kilomètres. Les FDLR sont ici comme une tortue, alors que, dans la forêt, ce sont des lièvres.
À Mungazi-Kishanga, la situation est relativement calme, comme en témoignent différents civils. Les observateurs internationaux trouvent cette région plus sûre que celles sous contrôle des FARDC. Nous partageons le même sentiment. Les représailles des FDLR se sont révélées relativement moins violentes qu’on ne s’y attendait. Elles ont fait un seul mort et les centres de santé ont compté quinze viols l’an dernier. Depuis que le major Pilot s’est installé ici, il règne une certaine discipline. Mais la relation de pouvoir demeure.
Des femmes congolaises nous racontent qu’elles ne cultivent plus les champs éloignés, de peur de se faire violer et parce que la récolte finit tout même par être volée, mais elles se taisent aussitôt, lorsqu’apparaissent des militaires des FDLR. La raison des pillages est simple. ‘5.000 réfugiés et militaires rwandais vivent dans les forêts avoisinantes’, nous assurent les Congolais. ‘Avant, c’était plus facile : les Rwandais vivaient avec nous au village ; ils étaient les principaux producteurs de haricots et de tomates. Ce sont en effet de bons agriculteurs.’

quinze kilomètres tumultueux


L’action militaire commune du Congo et du Rwanda en 2009 a entraîné une saignée économique pour les FDLR dans cette région. Dans des villages tels que Nyabiondo et Kashebere, ils possédaient des magasins, faisaient du commerce à volonté et pouvaient percevoir des taxes sur le marché. Maintenant qu’ils ont été délogés, la vie est plus dure, non seulement pour les civils, mais aussi pour les militaires.
Malgré une relative tranquillité, ces villages sont victimes de la situation. Les FARDC ont interdit le marché depuis l’année dernière et on ne fait pratiquement plus de commerce le long de la route, par peur des pillages. Les seules voitures qui viennent encore ici sont celles de la Monuc et de Médecins Sans Frontières, qui renforcent considérablement les soins de santé ici. 
‘Nous sommes en fait prisonniers de notre misérable situation, car l’insécurité règne en dehors du village’, nous confie le pasteur de Mungazi. Nous décidons tout de même, à défaut de moyen de transport, de marcher jusqu’à Kibati. Nous constatons rapidement que le pasteur avait raison. La traversée des quinze kilomètres qui séparent Mungazi de Kibati est pour le moins « tumultueuse ». Nous faisons la connaissance des FARDC sous trois aspects différents.

des Congolais s’opposent à leur armée “rwandaise”


Nous croisons tout d’abord un groupe de personnes qui rentrent du marché de Kashebere, situé à 25 kilomètres de là. Elles sont protégées par quatre hommes armés de l’APCLS (Alliance des Patriotes pour un Congo libre et souverain), une milice locale. Le docteur Hangi, président de l’APCLS, nous explique : ‘Les FARDC sont une armée rwandaise. Ils chassent les nôtres avec brutalité pour que les Tutsis puissent ensuite s’emparer eux-mêmes du pays. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à eux. Cela ne veut pas dire que nous collaborons avec les FDLR, mais nous ne les attaquons pas non plus.’
La population a ici le sentiment que l’armée est devenue une armée rwandaise depuis l’intégration du CNDP. Il en résulte bien souvent une certaine sympathie pour les FDLR. Même parmi les travailleurs congolais de la Monuc, je rencontre des personnes qui appellent régulièrement Laforge, le porte-parole des FDLR.
Dans le territoire Masisi (5.000 km2), le CNDP constitue un État dans l’État. Comme en témoigne Marie-Claire Mavito, la plus haute représentante de l’État congolais dans le territoire : ‘Le CNDP dispose d’une administration parallèle dans les deux tiers du territoire. Ils perçoivent des impôts et ont leurs propres tribunaux. Notre fisc est balayé.’ Elle n’ose pas se rendre en voiture dans de grandes parties du territoire Masisi et prend l’hélicoptère pour aller de la ville de Masisi à Goma. En effet, le CNDP exige qu’elle demande une autorisation pour traverser son territoire, ce qui équivaudrait, dans ce cas, à une forme de reconnaissance de celui-ci.
Des efforts d’intégration de ces deux administrations sont certes entrepris, mais la situation renforce chez beaucoup de gens le sentiment que le Rwanda a atteint son objectif, à savoir : la protection des Tutsis et la mainmise sur une partie du Kivu. Kagame a donc bien manœuvré, mais une partie de la population locale ne s’accommode pas de cette situation. Reste à voir comment tourneront les choses. Ces dernières années, ce sont surtout des Tutsis qui sont arrivés du Rwanda. Ce qui ne fait qu’envenimer les choses, notamment parce que leur bétail occasionne des dégâts aux cultures.

chaos


La présence des FARDC a encore d’autres conséquences. À commencer par un certain chaos. Nous rencontrons tout d’abord quelques personnes qui affirment avoir fui l’armée au départ de Kibati. Elles sont accompagnées de quelqu’un qui prétend avoir été attaqué par les FDLR. Juste avant d’atteindre le village de Miba, nous croisons de nouveau un groupe de personnes venant du marché, accompagnées de trois hommes armés de kalachnikovs.
Ils affirment eux aussi protéger ces civils, mais tiennent des propos très confus sur la question. Au bout d’à peine cinq minutes, trente soldats des FARDC venant du village de Kibati, situé dix kilomètres plus loin, s’élancent dans notre direction, armés de kalachnikovs et de bazookas. Fort heureusement, ils nous dépassent.
Nous poursuivons notre chemin. Tous les villages et hameaux par lesquels nous passons ensuite sont aux aguets, inquiets de ce qui pourrait se passer. Le message est clair : si les FARDC interviennent, il y a de quoi s’inquiéter. Apparemment, les trois hommes armés avaient pris possession ce matin de tout ce que contenait un magasin de Mikumbi. Les FARDC les ont maintenant pris en chasse. Étrange, car nous apprenons quelques heures plus tard que deux attaques de ce genre ont eu lieu à Kibati même, où les FARDC ont un camp, et que ces derniers ne sont pas intervenus.
Entre Mungazi et Kibati, nous comptons sept vols à main armée en 24 heures. ‘Le Congo est pourri,’ se lamente une victime. ‘Nous recevons ces Rwandais, et ils viennent tout chambouler ici. Si j’avais une arme, je me battrais contre eux.’
Lorsque nous arrivons enfin à Kibati sous une pluie torrentielle, nous allons nous abriter sous un petit auvent où se trouvent également les commandants locaux des FARDC. Notre collaborateur Chrispin Mvano intercepte une discussion, sur l’émetteur radio du commandant des FARDC, entre les trente militaires qui sont arrivés entre-temps à Mungazi. Leur dirigeant exige qu’ils attaquent l’ennemi sans attendre. En réponse, une voix hurle : ‘Quel ennemi ?’ Et le dirigeant de répondre : ‘Les FDLR, évidemment.’ Ce à quoi le soldat rétorque qu’il ne veut pas perdre son temps à ça. Et le dirigeant de répliquer : ‘C’est du nationalisme ? C’est donc ça, l’armée intégrée ?’ La discussion vire à la dispute.
Le commandant, qui tient la radio, nous donne son opinion : ‘Les FDLR représentent un problème international. Nous ne nous en occupons pas. Ce qui nous dérange, c’est le fait que les chefs locaux incitent les jeunes d’ici à devenir APCLS. Si ça ne s’arrête pas, nous mettrons le feu à Mungazi et Kishanga’, dit-il même à deux reprises. Ses propos ont de quoi surprendre. Bon, nous avons bien vu quelques membres de l’APCLS à Mungazi, mais le chef local s’indignait justement du fait qu’ils réclamaient trop de nourriture. Ce qui ne démontre pas un grand enthousiasme dans l’immédiat. Les habitants de Kibati ne comprennent pas eux non plus les accusations.
Tandis que nous discutons, l’un des trente soldats revient en tenant sa « récompense » : quelques bottes de poireaux, d’une main, et sa kalachnikov, de l’autre.
Nous dormons cette nuit-là dans le centre de santé de Kibati. À la nuit tombante, un grand nombre de civils arrivent des villages voisins pour passer eux aussi la nuit à Kibati. Ils ne se sentent pas en sécurité dans leur village.
En réalité, l’insécurité règne dans toute la région qui s’étend de Mungazi à Kashebere. L’histoire est toujours la même : ‘Des hommes en uniforme militaire qui s’exprimaient en rwandais ont fait irruption ici et exigé qu’on leur donne tout ce qu’on a.’ Difficile de déterminer si les responsables étaient des FDLR ou des FARDC. Un commandant de la Monuc constate que l’on a, actuellement, surtout tendance à pointer les FDLR du doigt. Quoi qu’il en soit, cette situation crée un énorme sentiment d’insécurité et de désorganisation. À qui peut-on se fier ? Cette incertitude nous avait semblé moins pesante au village FDLR de Mungazi.

Le poids du crédit génocidaire


Les camps indiens de la Monuc à Nyabiondo et Kashebere sont considérés comme les endroits les plus sûrs de la région, même si la population préférerait voir un peu plus de casques bleus en dehors de la caserne. La population va parfois trouver refuge à Nyabiondo, lorsque des fusillades éclatent entre APCLS-FDLR et FARDC. À Kashebere, le camp est, par contre, trop petit pour cela ; il n’empêche que l’arrivée d’un camp de la Monuc a apporté une certaine stabilité. Établir plus de camps permettrait d’accroître la sécurité : la différence est grande entre le chaos qui règne à Kibati et le calme relatif de Kashebere.
 ‘C’est la raison pour laquelle nous organisons des patrouilles nocturnes dans les alentours’, nous confie le commandant. ‘Nous surprenons parfois des voleurs. Nous les obligeons à tout restituer, mais nous devons ensuite les relâcher. Car nous ne sommes pas des forces de l’ordre.’
Un commandant local de la Monuc n’y va lui pas par quatre chemins. ‘Cette armée congolaise ne peut pas vaincre les FDLR. Peut-être plus tard, si elle devient plus forte, mais certainement pas maintenant.’ En d’autres termes, la situation demeurera inchangée dans les années à venir. Et tant les civils congolais que les réfugiés rwandais en seront les principales victimes. Le rapprochement opéré entre Kabila et Kagame n’a pas aidé à clarifier la situation.
L’idée est d’intégrer l’APCLS à l’armée, mais qu’adviendra-t-il des FDLR ? Le porte-parole Laforge, alias Ignace Ntaka, insiste vivement sur le fait qu’ils veulent s’entretenir avec Kagame d’un retour possible. ‘Nous continuons à lui tendre la main’, poursuit Laforge. Cette idée est toutefois impensable pour Kigali, qui continue de brandir l’étiquette du génocide.
Cela fait du tort à la grande majorité des réfugiés rwandais et aux militaires FDLR qui sont trop jeunes pour avoir participé activement aux événements de 1994. Seule une solution négociée peut déboucher sur une stabilisation. Mais Kagame ne parlera avec les FDLR que si la communauté internationale, et surtout le monde anglo-saxon, met le Rwanda davantage sous pression. Et c’est précisément à ce niveau-là que les intérêts géopolitiques se butent aux heurs et malheurs de nombreux civils congolais et rwandais.
Des fragments de la vidéo tournée dans la brousse de l’est du Congo sont disponibles sur www.MO.be/congo: l’appel à témoins d’Olive Nirakanyana, un portrait du militaire FDLR Bosco et une interview du porte-parole des FDLR Laforge.

Nous remercions la ‘Jammu and Kashmir Light Infanterie’ (Monuc) et Médecins Sans Frontières pour leur collaboration.

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