Le monde en Belgique

L’année passée, 16 000 navires ont rallié le port d’Anvers. Le personnel navigant, en provenance des quatre coins du monde, travaille parfois dans des circonstances misérables. La protection sociale est encore trop facilement ignorée. MO* assiste à une visite des missions anversoises des marins.
Lundi matin. Après un bref examen quotidien de la “liste des navires”, effectué avec les autres aumôniers, Jörg Pfautsch m’emmène au cinquième dock de l’ancien port. Cela fait vingt-deux ans que Pfautsch est l’aumônier du port d’Anvers pour la mission allemande. Avec ses collègues de Stella Maris, une organisation catholique, et les missions anglicanes et presbytériennes, Pfautsch se préoccupe du bien-être spirituel et social des loups de mer de tous les pays qui font escale dans le port d’Anvers.
Chaque jour les cinq aumôniers visitent les navires qui arrivent avec leur équipage international. Le travail est garanti : il y a au monde 50.000 cargos, avec au total quelque 1,2 millions de marins. Un quart provient des Philippines ; l’Inde et les pays de l’Est sont eux aussi bien représentés dans la marine internationale. Une estimation grossière nous apprend que 380.000 d’entre eux font escale dans le port d’Anvers, le second port d’Europe et le cinquième au monde.

Echoués sur un navire


Entre l’étendue blanche des quais vides, les hangars enneigés et l’eau presque gelée de l’Escaut, se trouve le cargo Hannes C, saisi il y a quelques semaines déjà. Suspendues à la rambarde, deux banderoles bravent le vent d’est : ‘We are on strike’ et ‘Our families are hungry, we need our wages’. L’équipage – un capitaine russe et une vingtaine de Roumains, Ukrainiens et Philippins – sont bloqués sur le navire depuis novembre. Cela fait trois mois qu’ils attendent leurs salaires. Le propriétaire, un armateur allemand, a fait faillite et le navire – saisi plusieurs fois déjà – sera vendu.
Sur le Hannes C, l’équipage s’est réuni dans la cantine enfumée. Leur plus grand souci ce sont leurs familles, qui, elles aussi, se retrouvent sans argent. ‘Nous, on peut manger, mais nos familles souffrent. Nos femmes cherchent du boulot partout afin de combler la lacune financière qui s’est formée’, nous raconte-t-on. Malgré le calme relatif et la solidarité entre les marins, c’est surtout l’incertitude qui sape le moral de l’équipage. Certains d’entre eux naviguent sur ce navire depuis plus d’un an déjà. ‘La mission nous donne des manteaux supplémentaires, des couvertures, de la nourriture et de l’eau.
Après, on nous emmènera aussi du gazole. Mais ce qu’on veut c’est de l’argent, et un peu d’espoir’, nous dit Valerij V. Sokolov, le capitaine russe. Pour lui aussi, en tant qu’intermédiaire entre l’équipage et le propriétaire, les choses sont compliquées. Mais, ‘si les hommes veulent faire la grève, c’est leur choix’, et il le respecte.
‘A la maison, les dettes se multiplient’, nous raconte l’électricien roumain Eugen Oprescu. Il doit emprunter de l’argent à ses amis et à sa famille pour pouvoir payer le loyer. ‘Le moteur de ce navire n’a jamais autant brillé’, sourit-il, quand on lui demande comment il fait pour tuer le temps. ‘Et je fume beaucoup’, dit-il quand il voit mes yeux rivés sur la patine brune-orange de ses doigts. ‘Cette situation n’est pas bonne pour la santé. Le seul exercice et le peu d’air frais qu’on a, c’est pendant notre petite promenade quotidienne vers la navette, quand on va au Seafearers’ Centre.’

la seule passerelle vers le monde extérieur


Les aumôniers et les assistants sociaux de l’association séculière Foyer International d’Anvers pour Marins se sont répartis le port massif, un géant de plus de 14.000 hectares et comptant 125 kilomètres de quais. Chaque jour ils apportent la terre ferme sur les navires amarrés dans leur secteur respectif du port. Ils n’apportent pas que leurs paroles, mais aussi de la lecture, des clés usb, des journaux de toutes langues, des télécartes, et une brève introduction sur la ville et son port.
Lors de chaque visite, les aumôniers montrent aussi le chemin vers le Seafarers’s Centre d’Anvers, à l’avenue d’Italie, où les ouvriers maritimes trouvent un lieu de rencontre et où ils peuvent boire un verre et bavarder un peu. Les navigateurs qui ont le temps et qui en ressentent le besoin, peuvent y obtenir les heures des messes données dans la chapelle du Centre. Ce n’est cependant pas le premier souci des aumôniers, que de remplir cette chapelle de croyants. ‘Notre mission est simple’, dit Pfautsch. ‘Nous voulons rajouter un rien d’humanité à la vie dure et stressante de l’équipage.’
Et elle est dure, la vie d’un marin. Des conventions de travail internationales devant améliorer le droit du travail maritime sont en cours de préparation, mais pour l’instant elles sont toujours lettre morte. Les salaires dérisoires, les contrats temporaires, les longues heures de travail, souvent sans interruption, les heures de repos limitées, les mesures de sécurité qui souvent laissent à désirer et l’isolement pèsent lourdement.
En 2004, l’on introduit partout au monde, à la suite des attentats du 9/11, le code ISPS (International Ship and Port facility Security), un code de sécurité navale destiné à prévenir le terrorisme. Depuis lors, il est devenu beaucoup plus difficile de quitter le navire au port. Dans le nouveau port d’Anvers, il n’y a pas moyen d’entrer sans Alfapass. De plus, la concurrence acharnée entre les entreprises de transport exerce une forte pression sur les horaires de chargement, avec pour conséquence que le temps passé à quai est aujourd’hui beaucoup plus court qu’il y a dix ans environ.
Etant donné les mesures de sécurité très strictes, l’équipage n’a presque pas le temps de mettre pied à terre, même pas pour quelques heures. ‘Cela provoque pas mal de stress, d’isolement et de fatigue – les membres de l’équipage qui ne font pas partie du cadre des officiers, concluent des contrats pour naviguer six à neuf mois d’affilée’, raconte Pfautsch. ‘Nos visites sont souvent brèves, mais il suffit parfois de prêter l’oreille aux histoires des marins pour leur permettre de reprendre souffle’.

transferts de pavillon


‘Le Hannes C est un cas classique’, explique Joris de Hert, coordinateur de la section locale de l’ITF, la fédération internationale des ouvriers du transport, établie à la Paardenmarkt. ‘Il s’agit d’une société d’armateurs allemands qui exporte sous le Flag of Convenience (FoC) afin d’échapper aux taxes.’ Mondialement, les navires de commerce occidentaux passent en masse sous un autre pavillon afin d’éviter les impôts, les syndicats et une législation stricte du travail. Sur les 58 000 navires qui parcourent les océans, plus de 18 000 battent pavillon de complaisance, comme celui du Panama ou du Liberia. A titre d’information : la majorité des navires belges naviguent sous propre pavillon et sont donc soumis à notre législation nationale du travail.
Les navires FoC – qui naviguent dans un vide juridique – sont une cause permanente d’exaspération pour les syndicats. ‘On ne peut pas faire grand-chose car on a affaire à deux parties. Bien souvent l’armateur paye à l’agence du pays émetteur du pavillon, un montant global pour naviguer, y compris le salaire de l’équipage. Quand un tel navire se retrouve dans une situation problématique, les tiraillements entre les deux parties commencent.’
Dans le cas du Hannes C, qui appareilla sous pavillon d’Antigua et portant le nom de Normed Istanbul, les choses ne sont tout compte fait pas si graves, nous dit Joris De Hert. Entre-temps, l’armateur a sollicité une protection contre les créanciers. Pour la période à partir du 12 janvier, c’est la banque qui paye les salaires de l’équipage. Pour la période précédant cette date, l’équipage s’est adressé à un avocat, qui a fait saisir le navire.
Cette saisie comprend une réclamation réglant le rapatriement des membres de l’équipage ayant dépassé le terme du contrat. ‘Puisqu’il s’agit encore d’un bon navire, et qu’on a déjà trouvé un nouveau propriétaire, la vente et le paiement des salaires arriérés ne devraient pas trop tarder et se feront dans moins d’un mois’.

Attendre à quai


La neige s’est transformée en neige fondante. Néanmoins, cela ne change rien à la vue extraordinaire sur l’Escaut qu’on a depuis la passerelle du cargo allemand Hanna. L’officier philippin qui m’accompagne, garde son sang-froid. Il peut se vanter d’un état de service de vingt ans. Naviguer, c’est gagner de l’argent, et ça n’a rien de romantique. Avec un salaire de 2 652 euros par mois, il mène bien sa barque, d’après les normes philippines. Pour cela, il accepte le travail dur et le fait de ne pas voir sa famille pendant huit mois par an. ‘Ce navire-ci n’est pas si mal que ça’, nous dit-il. Le Hanna, tout comme le Götawald amarré un quai plus loin, attend sa cargaison.
Le premier attend déjà depuis mi-décembre, le second compte sur une attente minimale. Le Hanna est un bateau tout neuf et l’équipage, qui garde son salaire, peut se rendre en ville sans problème. C’est une croisière de luxe en comparaison avec le Hannes C. ‘C’est vrai’, dit Pfautsch quand il me reconduit vers la gare, ‘mais ne te trompes pas : naviguer reste un métier impitoyable et rudement solitaire. Souvent les marins venant des pays à bas salaires ont peu de choix. Il y a encore toujours trop de navires où les choses vont mal.’

La face sociale d’un port mondial


Les navires internationaux sont bien contrôlés quant à la sécurité, mais l’observation des règles sociales du travail n’est pas vérifiée. Ce sont les assistants sociaux qui comblent cette lacune dans le secteur maritime du travail. Quand ils découvrent des anomalies sur un navire, ils passent l’information à l’ITF, la fédération internationale du transport ou à d’autres organismes. Ce rôle de cerbère est important pour le bien-être des marins. Seulement, l’avenir de l’assistance sociale n’est pas vraiment brillant.
L’année passée, la ville d’Anvers a décidé de raser l’immeuble du Foyer International pour Marins d’Anvers. Ce bâtiment, situé à la Falconrui, avait plus de 50 ans. Ce qui adviendra des employés – transférés depuis quelques années déjà vers une a.s.b.l. – même Louis Van Den Abeele, directeur de cet hôtel-restaurant pour marins, ne peut le dire. Il ne sait pas non plus qui reprendra les tâches. Et ce n’est pas tout : la mission allemande ne reçoit plus de subventions de l’état allemand et perd par conséquent presqu’un dixième de ses revenus. L’hôtel Seafarers’ Centre a été liquidé et les revenus sont à l’avenant. Les missions pour marins subsistent grâce aux collectes, aux donations, aux recettes d’événements et à la vente de télécartes.
Les assistants sociaux et les syndicats sont d’avis que l’introduction d’une taxe de bien-être dans le port ne serait pas une mauvaise idée. En percevant une taxe minimale auprès des navires qui entrent au port, l’organisme percevant pourrait créer un fonds spécial qui servirait à couvrir les premiers besoins pour les marins en détresse. Cette méthode est déjà appliquée dans certains pays d’Europe, mais pour l’instant le port d’Anvers ne semble pas très intéressé.
‘La question est effectivement à l’ordre du jour, mais on doit considérer ce sujet à têtes reposées, nous dit Annik Dirkx de la Société du Port. ‘On ne saurait chanter plus haut que la bouche. Depuis quelques années déjà, la Société du Port prend en charge les frais de transport vers le centre-ville des marins de la rive droite, et depuis peu également la rive gauche. Cela constitue un coût considérable. En ce qui concerne les équipages en difficulté: en principe chaque navire qui entre au port, est obligé d’avoir un agent. Cet agent est responsable, et c’est aussi sa responsabilité de prêter assistance à l’équipage de navires en difficultés.’
Malheureusement, les années de prospérité du secteur maritime anversois sont révolues, comme en témoignent les missions. L’effet de boule de neige, entamé par le marasme du secteur automobile, commence également à se ressentir dans le secteur maritime. ‘Depuis un mois et demi, de moins en moins de navires entrent. Ceux qui arrivent, restent amarrés plus longtemps qu’avant, car ils doivent attendre la cargaison’, raconte Pfautsch.
Bien que pour cette année-ci la Société du Port d’Anvers puisse présenter de jolis chiffres pour 2008 – une croissance de 3,5 pour cent – elle prévoit pour 2009 une diminution du tonnage de l’ordre de quinze pour cent. L’ensemble du secteur du transport est touché par la récession économique, et le port ne fait pas exception, nous communique le syndicat ACV-Transcom. Dans le port d’Anvers, 30 à 35 pour cent des dockers sont au chômage, écrit la centrale syndicale dans un communiqué de presse début février. Les juges de saisie d’Anvers ont fait savoir via la presse que le nombre de navires saisis a déjà considérablement augmenté par rapport à l’année passée. Pour leur équipage aussi cela constitue une mauvaise nouvelle.

Le salaire minimum en mer: 1 256 euros


Dans le cas où ça tourne mal et que le navire a conclu une convention collective de travail (CCT) auprès de l’ITF, la fédération internationale des ouvriers du transport, celle-ci forme en première instance un moyen de pression. Selon cette CCT, un marin devrait gagner en moyenne 1 256 euros par mois. Ce montant peut sembler raisonnable, mais cela reste un salaire peu élevé pour un travail dur, où on fait constamment des heures supplémentaires et où les loisirs sont réduits au minimum. N’empêche que c’est toujours beaucoup plus que le salaire minimum moyen recommandé par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), qui est de 675 euros.
En 2006, l’OIT a conclu une convention de travail maritime générale pour tous les navigateurs du monde. Celle-ci fut accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les syndicats internationaux comme une « super-convention ». La convention stipule les règles de base pour les contrats de recrutement, le rapatriement, les temps de travail et de repos, les conditions de travail tels que le logement et la nourriture, les soins de santé et la sécurité sociale. Elle entre en vigueur dès que trente pays l’auront signée, la date limite étant fixée à 2011. Les Etats membres de l’Union Européenne, qui ratifieraient la convention en 2008, n’ont cependant pas respecté cette échéance. Début février, le Panama, le principal pays au monde pour ce qui est des pavillons, ratifia la convention, suivant en cela l’exemple donné par le Liberia, les Iles Marshall et les Bahamas.

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