Le pouvoir des minorités

“L’immigration est un processus à deux voies et la prise de confiance et d’autonomie est l’un des signes les plus importants que l’intégration réussit, affirme Türkan Karakurt, directeur de l’Institut Friedrich-Ebert-Stiftung, de Genève, lors de la conférence « Autonomisation des minorités de l’Europe : pourquoi, quand et comment ? », de l’European Policy Center, le 19 mai dernier.

Cette autonomisation passe, entre autres, par la représentation en politique, mais comme le dit monsieur Karakurt, « le partage du pouvoir politique n’est pas très populaire, en aucun endroit ». « Même le Royaume-Uni, pourtant avant-gardiste au niveau politique (premier pays à élire une femme et un juif comme premier ministre), n’est pas très avancé à ce niveau », complète Harris Baider, professeur de l’Institut pour la cohésion communautaire au Royaume-Uni.

Serait-ce les vieilles mentalités qui éloignent les minorités de la politique ? « Au départ, explique monsieur Karakurt, les immigrants ne croyaient pas rester sur leur terre d’accueil. Ils croyaient immigrer pour quelques années, faire de l’argent et retourner dans leur pays. Mais les choses ne se sont pas passées comme ça. Ils sont restés, les enfants ont grandi dans leur nouvelle patrie. Le désir d’intégration est devenu primordial. Mais il reste toujours un attachement très fort à sa patrie. »
« Mais augmenter la représentation politique n’est pas assez pour assurer une autonomisation des minorités, complète monsieur Beider . Il ne s’agit que d’une partie de la réponse». Une affirmation soutenue par monsieur Karakurt : « le premier domaine dans lequel nous devons réussir, c’est dans l’éducation. Si l’éducation des minorités n’est pas réussie, alors l’intégration est un échec ». En deuxième lieu, le travail : « Le chômage, chez les minorités, est très élevé dans certains pays. Plusieurs entreprises publiques ne considèrent pas que la représentation culturelle est un facteur important pour l’industrie ».

Monsieur Beider affirme également qu’il faut trouver de nouvelles idées pour que les minorités regagnent confiance envers les autorités gouvernementales et qu’il faut bâtir de nouvelles associations pour réussir le mélange des cultures. Mais avant tout, selon les spécialistes de la conférence, il s’agit de rejoindre la jeunesse et de leur démontrer qu’ils n’ont pas à vivre entre deux mondes, celui de leur terre d’accueil et celui de leurs parents. «  Ils peuvent parfaitement s’intégrer tout en gardant leur identité originelle », affirme monsieur Karakurt.
Selon Amrani Saad, commissionnaire de police de la ville de Bruxelles, « les jeunes d’aujourd’hui sont les dirigeants de l’Europe de demain. Ce sont les futurs présidents, les futurs leaders, les futurs ministres. Il faut donc leur donner une image positive du pouvoir ». À son avis, la police peut jouer un rôle déterminant dans l’intégration des jeunes minorités : « le premier contact que ces adolescents ont avec le pouvoir, c’est souvent la police. Il faut donc leur démontrer un visage accueillant et positif ».
À la suite des manifestations multiethniques de 1991, au cours desquelles la police réalisa plusieurs arrestations arbitraires, les autorités en sont venues à un désir commun de vouloir trouver une solution pour favoriser l’intégration. Plusieurs initiatives ont été développées, notamment de recruter des agents de police parmi les descendants d’immigrants et d’ajuster les conditions de recrutement, pour éliminer tout risque de discrimination raciale. Il existe également une unité spéciale, nommée « Unité d’Égalité et de Diversité », afin de promouvoir la diversité culturelle au sein des corps de police et depuis 1998, il existe une loi obligeant les différents corps policiers de mettre en place une police communautaire.
Et les exemples d’intégration existent. Les États-Unis, par exemple, font face à des défis similaires à l’Europe, et obtiennent des résultats « qui pourraient enseigner des leçons aux Européens », selon monsieur Beider. Ahlam Jbara, directrice du programme de ressources pour familles immigrantes de Chicago, aux États-Unis, considère que la venue de Barack Obama au pouvoir représente l’exemple idéal d’autonomisation des minorités : « Le succès de la campagne de Barack Obama a été causé par la mobilisation de toutes les communautés. Tout le monde a mis la main à la pâte et les gens étaient si fiers du résultat final. Cela a procuré aux minorités un énorme sentiment de pouvoir, d’autonomisation. Même ma propre fille a pleuré lorsqu’on a annoncé la victoire d’Obama. Elle se dit maintenant que s’il a réussi, elle-même peut réaliser n’importe quoi ».