Squatteur: Mohamed, mineur sans abri à Bruxelles

Ceci est l’histoire de Mohamed, un jeune Marocain de seize ans, qui se retrouve sans toit à Bruxelles. Les éducateurs disent que l’on peut retrouver des dizaines ou même des centaines de jeunes comme lui dans les rues de la capitale. Pourtant, ceci est une histoire unique, celle d’un squatteur prédéterminé à une vie incertaine.

Cet article fait partie du dossier : Squatteur : mineurs non-accompagnés en Belgique. Lisez aussi:

L’histoire de Mohamed commence en 1996, le moment où il est né dans la ville marocaine de Berkane. Nous ne parlerons pas des douze années qui suivent à sa naissance : Mohamed préfère ne pas partager cette histoire avec un journaliste et 180.000 lecteurs de MO*. Toutefois, il est très probable que la décision de Mohamed de quitter le Maroc et de se diriger vers l’Europe soit la conséquence des événements au cours de ces années. Essayons d’entamer cette histoire quand même par ce passé refoulé. Cela faisait un à deux ans que Mohamed vendait des petits sacs en plastic aux passants sur le marché de Berkane. Sans mère, sans argent, et un beau jour son père – qui déjà ne faisait que partie de l’arrière-plan de sa vie – disparaît aussi. Alors, il est parti. ‘Seul’, dit-il, inspiré par tous les autres garçons qui décident, jour après jour, de refaire leurs vies ailleurs. Il fait étape dans le port maritime marocain Nador, participe à la cueillette de tomates dans la ville espagnole de Malaga, passe par les champs de légumes du Sud de la France et le marché du matin à Paris. Il y a deux années, il a choisi Bruxelles au hasard comme destination provisoire.

Faire de la marche

Mohamed fait de la marche sur les pavés de Bruxelles, le long des voies de tramway et à travers des voies express bruxelloises très chargées. C’est la deuxième fois que l’on se rencontre. Selon moi, sa vitesse fait preuve de son énergie ; selon lui c’est une conséquence du stress causé par une vie immobile. Il n’a jamais volé, avance-t-il. Il ne touche pas aux drogues dures, même s’il se fait souvent un petit joint. ‘Mais parfois, de temps en temps, je m’effondre’, dit-il. Alors, faire une marche ne l’aide plus. À de tels moments il démolit des choses, il bute contre des murs, des portes, ‘et oui, aussi contre des voitures’. Le fait de s’effondre rejoint alors la pleine conscience du fait qu’il n’a toujours pas fait ni un seul pas dans la direction d’une vie normale.

Pourtant, ces premiers jours la fortune lui sourit : il fait temporairement ses adieux à sa vie comme enfant de la rue et trouve un abri chez Abaka, un centre de la jeunesse bruxellois qui dépend du ministère de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse de la Communauté française. Il peut s’asseoir sur une chaise pour manger son petit déjeuner, il peut prendre une douche, il lave ses vêtements, les fait sécher, mange son déjeuner sur la même chaise, regarde la télé, boit de l’eau fraiche, brosse ses dents abîmées et dort sur un matelas doux sous des draps propres. Quand il arrivait à Bruxelles, il avait dormi pendant ‘huit ou dix nuits’ à l’extérieur : dans le métro, dans les abribus ou les arrêts de tramway. Puis, il a découvert les immeubles squattés : non pas moins sales que la rue, mais il s’y trouve du moins à l’abri des tracasseries et des regards des passants. Protégé de ce tabou politique, aussi : la violence de la police. ‘Ils m’appellent « sale Arabe » et frappent de toute force, sans raison, uniquement parce que je suis là. Même si je ne fais rien.’

Le tour des immeubles squattés est rapide et court. Généralement, le public n’y a pas accès : on ne souhaite pas de voyeurisme ici. Un des immeubles squattés est un immeuble abandonné à Elsene, un autre est un taudis à Etterbeek. Là, en une nuit, l’on a remplacé la porte par des briques : même pas un rat qui arrive à y entrer. Des ouvriers hongrois ont pris le relais des habitants illégaux. À l’extérieur, une demande de construction est affichée : l’immeuble doit faire de la place pour une rénovation urbaine. Encore un cancer urbain en moins.

Dissous dans la nature

Et puis il reprend son chemin. Je pars pour des vacances courtes, et lui, il dissout dans la ville grise d’où il n’est pas sorti depuis deux ans. Abaka n’a pas assez de moyens pour loger des garçons et Mohamed a usé son crédit d’accueil de quinze jours. Les centres contribuant à l’aide à la jeunesse sont saturés : il y a trop de Mohamed, Hassan et Khalid. Il retrouve ses vieilles habitudes de squatteur et disparaît ‘dans la nature’. C’est ça ce que font les garçons qui sont habitués à la rue et qui doivent attendre longtemps avant qu’un logement adapté ne leur soit proposé. Ceci est confirmé par des tuteurs, des avocats et des éducateurs.

Appeler quelqu’un avec une mobicarte vide et sans adresse dans la société visible est un pur contact unilatéral. Néanmoins, il apparaît de nouveau, sur un sofa du centre de la jeunesse SOS Jeunes. Il a changé, a l’air plus petit et porte un bonnet d’hiver en plein été. Je le reconnais à son manteau qu’il n’enlève jamais. ‘Ça ne va plus’, raconte Mohamed. ‘La seule réponse que je reçois, c’est que je ne suis « pas prioritaire ».’ Cela veut dire qu’il y a d’autres jeunes – qui sont plus vulnérables que lui – qui reçoivent la priorité : des filles, des garçons moins âgés, ou ceux qui ont des problèmes médicaux ou qui risquent de s’effondre encore plus vite. Mohamed a seize ans maintenant et est, dans les termes du droit des étrangers, un cas fédéral, un MENA ou un mineur étranger non-accompagné. De plus en plus de garçons arrivent en Belgique sans parents ou tuteur. Il y a des jeunes qui ont un profil d’asile très clair : des Afghanes, des Guinéens, des Congolais. Ils trouvent de l’aide dans les structures d’accueil de Fedasil. Néanmoins, il y a aussi des jeunes avec des ‘profils problématiques’ de la mauvaise nationalité, entre-autres les Maghrébins mineurs. Beaucoup d’entre eux ne sont plus soutenus dans les structures d’accueil. Une partie d’eux est logée dans un hôtel, en attendant un test d’âge et un tuteur ; une autre partie vit dans la rue et ne peut s’appuyer que temporairement sur l’aide sociale à la jeunesse. Et, comme on nous a communiqué, les centres de la jeunesse, les centres ouverts, sont surencombrés. Ils tournent à toute force et même plus, les employés dépassent largement les tâches pour lesquelles ils sont rémunérés et – à un certain point – ils disent ‘stop’.

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Les chiffres derrière les personnes

En 2011, 3.528 MENA ont été signalés au service de Tutelle. 461 jeunes de ce groupe ont indiqué de se trouver sans logement. Le service de Tutelle s’est chargé de 2.468 MENA en 2011.

1281 MENA se sont hébergés dans les structures d’accueil de Fedasil en 2011. En 2010, c’était 900; en 2006 uniquement 400.

Toujours en 2011 881 jeunes se sont logés dans un hôtel (selon Fedasil 75 pourcent d’entre eux était majeur). En ce moment entre 160 et 200 MENA se trouvent dans un hôtel.

847 jeunes sont partis des centres d’observation et d’orientation de Fedasil en 2011. 26 disparitions étaient considérées comme alarmantes. Dans une réponse à une question parlementaire le Secrétaire d’État Maggie De Block ne pouvait pas dire combien de ces disparitions ont été résolues.

En Belgique, il y a 244 tuteurs, dont 120 bénévoles. Ces derniers se chargent toujours d’un ou deux mineurs ; les tuteurs professionnels ont en général entre 25 et 35, mais parfois même jusqu’à 40 jeunes sous leur garde.

Chiffres Fedasil et Secrétariat à l’Asile et à l’Immigration

Plusieurs fois, l’on m’a dit que Mohamed est sorti du système lui-même. ‘Nous ne pouvons rien faire pour lui s’il s’enfuit des centres de Fedasil.’ C’est ça ce que disent son tuteur, les centres de la jeunesse francophones et les centres de court séjour.

Mohamed est passé par six centres d’accueil pour demandeurs d’asile, mais il y a passé moins de temps que dans la rue. Même à Sugny, le seul centre avec une structure d’accueil adapté aux mineurs non-demandeurs d’asile, il n’a pas trouvé sa place. Sugny est un bon centre, disent les éducateurs. Mais c’est trop loin de tout ; être enfermé dans un petit village en pleine campagne est pour beaucoup de ces garçons un changement trop grand par rapport à l’anonymat familier de la ville. Le taux d’évasions est très haut à Sugny. Des garçons qui ont dépassé leur enfance en suivant le rythme dur de la vie dans les rues ont souvent des difficultés à s’adapter aux structures qui leur sont offertes. ‘Ça ne peut pas être tellement grave ? Tu as du moins de la nourriture, une douche, un lit ici’, essaye-je. Ça lui fait monter la moutarde au nez. ‘Je n’ai rien à faire là-bas, j’y deviens fou. À chaque fois que je demandais ce qu’on allait faire, la réponse était : « faire une promenade ».’ Alors, il s’est promené des tas de fois dans les bois luxembourgeois. Après, quand ses doigts étaient d’un brun profond à cause de tout le tabac qu’il y avait roulé, il a quitté le ‘centre éloigné plein d’étrangers’ pour retourner à l’agitation connue de la ville. Il ne le comprend pas, ‘ce penchant séparatiste’ de la Belgique de mettre tous les étrangers ensemble. ‘Tout comme dans les écoles ; là aussi ils ne te mettent qu’ensemble avec des non belges, qui ne parlent aucun mot en français ou en néerlandais. Pourquoi est-ce que la Belgique fait cela s’ils tiennent l’intégration en haute estime ?’

Boule de ping-pong

‘Faire une demande d’asile n’a aucun sens.’ Mohamed connaît les procédures, il estime que la chance de recevoir un permis de séjour soit très petite. Un rapatriement au Maroc une fois qu’il ait atteint le cap de dix-huit ans n’est pas une option pour lui : ‘hors de question !’ ‘Tout est mieux que cela, même attendre à rien.’ Et par conséquent, il n’est plus aidé dans les structures d’accueil en Belgique. Il ne tombe pas sous notre compétence, répond Fedasil, qui n’accueille que les demandeurs d’asile. ‘Illégal’, répond l’avocat bruxellois Franz Geleyn. ‘La loi ne fait pas la différence entre ceux qui demandent asile et ceux qui ne le font pas et prévoit que Fedasil, dans la première phase d’accueil, héberge ses jeunes dans des structures adaptées dès leur arrivée, qu’ils soient demandeurs d’asile ou pas.’ Katja Fournier du Platform kinderen op de vlucht affirme que la Belgique transgresse ses propres lois. ‘De plus, Fedasil et la Belgique violent la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention européenne des droits de l’homme.’

Selon le droit de garde, qui constitue une matière communautaire, Mohamed pourrait tomber sous le dénominateur de ‘POS’ ou situation d’éducation problématique. Sauf que, plus de MENA qui entrent dans un pays au bord d’une crise d’accueil continue, plus la vieille discussion est enterrée. Dans cette discussion, la question qui se pose est de savoir si le seul fait qu’un mineur entre notre pays sans parents soit raison suffisante pour parler d’une situation d’éducation problématique. Dans une seconde phase d’accueil, l’État fédéral et les Communautés doivent s’occuper ensemble de l’accueil des mineurs. Une convention de collaboration devrait conclure tout ça, mais ça fait dix ans qu’elle se fait attendre. En conséquence, l’État et les Communautés ne cessent de se renvoyer les jeunes, comme s’ils étaient en train de jouer un jeu de ping-pong, disent les organisations syndicales qui luttent pour les droits de l’enfant.

Désir de voir son reflet

‘Il n’y a pas de possibilités pour Mohamed’, dit Garip Kiran de Synergie14, un centre d’accueil pour les MENA situé à Elsene. Ici aussi on conclut : ‘pas prioritaire’. L’aide sociale qu’on chérit tant a aussi des défauts, elle n’est pas adaptée aux inadaptés. Les tuteurs sont de la même opinion. Elle contient aussi des paradoxes, trouve Kiran. ‘Selon nous, il faut protéger les enfants ; mais on leur abandonne quand ils veulent regagner la vie dans la rue – ce qu’ils connaissent. « C’est leur choix », c’est ce qu’on dit alors.’

Maintenant, les rues de Bruxelles sont donc de nouveau la salle de séjour, la cuisine et la salle de bain de Mohamed. Il connaît le chemin, connaît par cœur les cartes du plan de ville de Bruxelles et du transport en commun, il me guide dans la capitale qui – selon beaucoup de personnes – devrait être la mienne et non pas la sienne. Il corrige mon français avec le français qu’il a appris ici. En échange, il me demande des mots en néerlandais, ‘jointje’, ‘geen probleem’, ‘rotflik’. Nous faisons un exercice d’équilibre et nous achetons ensemble un pull avec capuchon qu’il accepte un peu mal à l’aise. Il aurait préféré gagner l’argent pour ce pull lui-même, comme monteur, en commençant dans l’éducation à temps partiel. Pourtant, cette année, il s’est trouvé moins que deux mois sur les bancs de l’école. Nous écumons quatre magasins et autant de cabines d’essayage. Même un garçon de la rue aime se voir dans le miroir.

En remerciant en premier lieu à Mohamed et Katja Fournier du Platform kinderen op de vlucht. Également un grand merci à Fanny François (Fedasil), les collaborateurs de cabinet du Secrétaire d’État à l’Asile, à l’Immigration et à l’Intégration sociale Maggie De Block, l’avocat Frans Geleyn, tuteurs Laurence Bruyneel, Julie Sanchez, Saïda el Khonssi, AMO Atmosphères, Abaka, SOS Jeunes, Synergie 14, Farah Laporte de Kinderrechtencoalitie Vlaanderen.

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