Entretien exclusif avec la reine Mathilde sur les Objectifs de Développement Durable (ODD)

La reine Mathilde: « 2030, c'est demain » Le changement doit avoir lieu aujourd'hui ».

© Brecht Goris

 

Ce n’est pas coutume dans les cercles cosmopolites de s’enticher de célébrités, à moins que la « célébrité » admirée, en plus d’être célèbre, soit également auteur de livres savants. Mais franchement, qui ne voudrait pas être le 18e invité à une réunion de 17 célèbres citoyens du monde, dont l’icône de la pop Shakira, la superstar du football Lionel Messi et le Chinois Jack Ma qui se cache derrière le site Alibaba ? Et la veuve de Mandela Graça Machel, la star hollywoodienne Forest Withaker, l’économiste du développement Jeffrey Sachs et le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus ? Cependant, la chance de recevoir une invitation est très faible, non seulement parce que vous et moi ne sommes pas suffisamment célèbres, mais aussi parce qu’il y a déjà un membre belge du club en question : Mathilde, reine des Belges.

Les dix-sept citoyens célèbres peuvent se qualifier de global SDG advocates : les ambassadeurs des objectifs de développement durable convenus au sein des Nations unies en 2015 et signés par 198 chefs d’État ou de gouvernement. Qu’est-ce qui motive la reine à soutenir les ODD ? Comment s’y prend-elle ? Et qu’espère-t-elle réaliser ? Voici les questions auxquelles elle a répondu lors d’un long entretien avec MO*.

La conversation a lieu dans le palais au cœur de Bruxelles. Lorsque l’huissier nous amène, le photographe Brecht et moi, au premier étage, l’impressionnante statue de bronze de Léopold II se détache à droite du large escalier : le dos droit, sûr de lui, sans être gêné par la violence qui a été perpétrée sur la population congolaise en son nom. Le dilemme de cette discussion sur les objectifs de développement durable n’aurait pas pu être illustré plus rapidement et plus explicitement, même s’il est apparu par la suite que Léopold II n’était qu’en visite. Le musée de Tervuren était à la recherche d’un toit pour le roi de bronze pendant la rénovation, et qui d’autre possède une salle assez spacieuse et haute pour abriter une telle statue ?

La reine s’est-elle déjà rendue au Congo dans le cadre de son engagement humanitaire ? Et le fait que la Belgique et plus particulièrement la maison royale belge aient été activement impliqués dans l’histoire coloniale du pays pèse-t-il sur une telle visite ou sur la décision de ne pas y aller ? J’ai envoyé la question a posteriori et la réponse montre clairement les limites du rôle international de la reine : « La reine n’est encore jamais allée au Congo. Chaque visite sur le terrain est fixée en concertation avec les ministres des Affaires étrangères et de la Coopération au développement, et prend soigneusement en compte la situation politique et les aspects sécuritaires. Pour l’instant, une telle visite n’est pas à l’ordre du jour. »

Histoire de famille

L’interview elle-même n’a jamais respiré cette atmosphère de réserve diplomatique, bien au contraire. Je m’étais préparé à un entretien au cours duquel nous aurions d’abord reçu une série de réponses formelles à des questions générales, avant d’en arriver aux motivations personnelles, aux doutes et aux contradictions. Mais dès que la reine vient nous chercher dans l’antichambre pour nous conduire à l’endroit de l’entrevue, elle commence à parler de sa récente visite d’État en Inde et à quel point elle a été impressionnée par les filles qu’elle avait rencontrées à Delhi. Cela nous amène directement à la question suivante : qu’est-ce qui la pousse à aller à la rencontre du bas de la société et que veut-elle représenter pour ces gens ?

La réponse à cette question commence par l’histoire familiale de la mère de Mathilde, Anne Komorowska, qu’elle décrit comme une réfugiée polonaise fuyant le régime communiste. Sa mère était comtesse, mais pendant ces années nomades, qui l’ont aussi amenée au Congo pour une courte période, elle a connu la misère et la faim. Ce traumatisme n’a jamais disparu et s’est traduit, entre autres, par une interdiction absolue de renverser de la nourriture ou de jeter des aliments dans la famille d’Udekem d’Acoz.

À dix-huit ans, Mathilde a effrayé ses parents par ses projets de vacances : elle voulait passer les mois de l’été 1991 au Caire, où elle est allée seule travailler avec une ONG locale dans les bidonvilles de la capitale égyptienne.

« Je voulais y aller seule, parce que je me suis rendu compte que la possibilité de rencontrer des gens et d’être ouverte à leur expérience serait sévèrement limitée si je partais avec une amie. » Elle a accompli tout le travail qu’impliquait un tel projet : construire une école, donner des leçons de français, guider les enfants, arpenter les rues poussiéreuses pendant des heures d’un engagement à l’autre. « Je me souviens encore de ce chemin. Je me souviens du quartier, de la poussière, de l’odeur. Cet été m’a changée et m’a façonnée en tant qu’être humain. »

« C’était émotionnellement très difficile de dire adieu à ce travail, aux patients, aux personnes et aux enfants qui m’ont souvent donné de la force avec leur résilience. »

Par la suite, Mathilde a appris que l’extrême pauvreté et la vulnérabilité ne sont pas des phénomènes qui se rencontrent seulement au sud de la Méditerranée. Ses visites à domicile en sa qualité de logopède l’ont amenée de la rue Blaes dans les Marolles jusqu’à l’isolement de la commune d’Evere. Elle raconte avec un plaisir visible comment le Prince Philippe à l’époque l’a accompagnée incognito en tant que « médecin superviseur » lors d’une visite à domicile chez un homme atteint d’un cancer de la gorge. C’était émotionnellement très difficile de dire adieu à ce travail, aux patients, aux personnes et aux enfants qui m’ont souvent donné de la force avec leur résilience, malgré la situation difficile dans laquelle ils devaient vivre.

Déjà pendant ses années de logopédie, Mathilde avait commencé à étudier la psychologie, parce qu’elle voulait mieux comprendre les gens avec qui elle travaillait. Elle a poursuivi ses études en tant que princesse et les a terminées lorsque sa fille aînée, Elisabeth, avait un an. Son travail de fin d’études portait sur le développement de l’identité des délinquants. Elle a achevé ses études de logopédie par un mémoire sur la façon dont les parents peuvent s’occuper d’enfants autistes.

« Je n’ai jamais pu travailler comme psychologue, mais j’utilise les connaissances acquises dans le cadre de mon engagement en faveur de l’Unicef ou pour des projets qui soutiennent l’éducation et les soins de santé mentale. » Et aussitôt, ces filles et femmes indiennes reviennent dans la conversation. Cette récente rencontre à Delhi a également rappelé une rencontre qui a eu lieu dix ans plus tôt à Mumbai. « J’ai discuté avec une femme qui avait parcouru des centaines de kilomètres et m’a parlé de l’impact du microcrédit sur sa vie. Et de son fils qui a pu étudier grâce à cela. Je n’oublierai plus jamais les yeux de cette femme. »

La priorité est d’investir dans l’éducation : la reine le répète sans cesse, et surtout dans l’éducation des filles, parce que « cela a un impact direct sur l’ensemble de la famille et sur la société locale ».

© Brecht Goris

 

Droits des femmes

« Avez-vous déjà rencontré Ellen Johnson Sirleaf ? », demande-t-elle. Johnson Sirleaf a été présidente du Libéria ouest-africain de 2005 à 2017. Que la réponse soit oui, et que nous ayons déjà publié une interview avec elle en 2011, fait visiblement plaisir à la reine. « Quelle femme forte. Quel engagement. Quel exemple pour un pays qui a dû être rebâtir sur des décombres. Si je peux soutenir des gens comme elle dans la lutte en faveur des droits des femmes et de l’éducation pour les filles, alors je me sens heureuse. »

Elle ajoute immédiatement que la force qu’elle admire tant chez Johnson Sirleaf ne se trouve pas seulement en Afrique, et certainement pas seulement chez les femmes (en position) de pouvoir. Comme souvent au cours de la conversation, la reine en revient au Quart Monde de Bruxelles pour souligner combien les femmes - et les hommes - peuvent être forts parmi nous également, malgré la pauvreté et des conditions difficiles. Comme en Haïti. Mathilde était là en 2012. « Les Haïtiens vont vraiment d’une catastrophe à l’autre. Et pourtant, ils ne baissent pas les bras. Entre autres choses, j’ai visité un hôpital où l’on soignait des patients atteints du choléra. Il n’y avait pratiquement pas d’installations, les enfants les plus vulnérables étaient maintenus en quarantaine, et pourtant. »

Au cours de la conversation, l’écart évident entre le style de vie ou la prospérité matérielle de la famille royale et la dure réalité des gens pour qui Mathilde s’engage - des filles en Afrique de l’Ouest aux pauvres depuis des générations des Marolles - apparaît.

« Bien sûr, je vis dans ces bâtiments », répond la reine, en évitant le mot palais, mais en indiquant la salle spacieuse dans laquelle nous parlons. Nous sommes assis dans des fauteuils peints en or et à droite, derrière la reine, se trouve un miroir de plusieurs mètres de haut et parfaitement sculpté, dans lequel - peut-être pas entièrement par hasard - se reflète un portrait en pied de Léopold Ier. L’or revient constamment dans la pièce, des ferrures de la porte et du buffet au gréement lourd, aux détails de nos tasses à café en passant par les boucles d’oreilles de la reine. La lumière qui filtre de la place du Palais par les hautes fenêtres est tamisée par les rideaux et les tentures, et remplit ainsi la pièce d’une lumière chaude et luxuriante, soutenue par les lustres en cristal et les lampes de table savamment disposées. « Ces bâtiments » ne sont pas vraiment meublés comme une salle d’apparat, mais ils rayonnent inévitablement du luxe naturel de générations de vie aristocratique.

Riche et pauvre

L’écart entre les riches et les pauvres : la reine en est très consciente, mais lorsqu’elle est en visite sur le terrain, elle veut d’abord écouter, dit-elle. « Les gens me donnent des leçons de vie sur l’espoir et la résilience. » Elle veut aussi « donner ce qu’elle peut avec son cœur : du temps, de l’attention et de la dignité. » Quand je l’écris comme ça, je me rends compte que ça sonne mielleux. Mais elle vous regarde droit dans les yeux, et on comprend qu’elle elle est sérieuse à propos de ce qu’elle dit.

Lorsque la reine Mathilde illustre son engagement en faveur du développement durable par des rencontres, l’accent est presque toujours mis sur les femmes et les filles, ou les mères et les enfants. Sur la table d’appoint derrière elle se trouve une photo avec ses propres enfants qui, comme les quatre fils Aymon, chevauchent un tronc. Des enfants en bonne santé. Des enfants privilégiés. Elle ne le dit pas, mais elle s’en rend compte inévitablement.

 « Pouvez-vous vous imaginer, en tant que mère, constater que la vie de votre enfant de 5 ans touche à sa fin ? Irrémédiablement ? »

« En Éthiopie, j’ai rencontré deux mères dans une petite chambre, chacune avec son enfant. L’un des enfants était joyeusement occupé à jouer, l’autre était apathique. Il avait 5 ans, tout comme mon plus jeune enfant à l’époque, mais souffrait de malnutrition et les conséquences de son état étaient irréparables. J’ai tenté de toucher l’enfant, mais il n’a eu aucune réaction. Pouvez-vous vous imaginer, en tant que mère, constater que la vie de votre enfant de 5 ans touche à sa fin ? Irrémédiablement ? »

Mathilde recherche la confrontation avec la réalité. Au Liberia, en Haïti, au Laos, en Inde et récemment encore au Ghana. Elle ne le fait pas pour se faire du mal, mais par désir de fonder son engagement sur les expériences de personnes bien réelles - bien qu’elle sache peut-être que la réalité est enjolivée lors de la visite d’une reine et de sa suite. Les rencontres sont minutieusement préparées, les lieux soigneusement sélectionnés et les projets examinés sous toutes les coutures.

« Je peux parler de pauvreté et de sous-développement, mais tout change lorsque je ressens cette réalité, quand je la vois de mes propres yeux. Vous réalisez alors pleinement que la pauvreté n’est pas un accident momentané, mais qu’elle ruine le développement physique et cognitif des enfants, et donc leur vie future dans son entièreté. S’engager pour l’alimentation des enfants est donc un investissement avisé dans l’économie d’un pays. Cette constatation renforce l’engagement.

Les rencontres rendent l’humanitaire plus personnel : « L’individu cesse d’être un indigent parmi tant d’autres, il devient une personne à part entière, avec un passé et un avenir, et surtout avec une dignité humaine. » Mathilde ajoute expressément : « C’est pour cette raison que je dis toujours aux enfants qu’ils doivent regarder droit dans les yeux toutes les personnes qu’ils rencontrent ou dont ils serrent la main. C’est comme cela qu’on reconnait la dignité de l’autre. » À ce moment-là, elle applique son conseil : elle me regarde droit dans les yeux lorsque je les lève du carnet de notes dans lequel je transcris autant que possible ses propos. En effet, le protocole interdit tout enregistrement audio de l’entretien.

© Brecht Goris

 

Pas d’histoires sensationnelles

Mathilde ne veut pas être qu’une « volontouriste de première classe». Elle consacre également beaucoup de temps à ses lectures, nous confie-t-elle : livres, rapports, recherches, études. Et MO*, bien entendu. Elle s’enquiert régulièrement des briefings d’ONG, « car elles se montrent attentives aux personnes les plus touchées par la pauvreté et l’exclusion ». .

C’est le précédent Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, qui a demandé à la reine de devenir Défenseuse des ODD. Ban n’était pas inconnu de Mathilde. Elle a appris à le connaître lors de conférences des Nations Unies et l’a également rencontré à l’occasion de ses visites à Bruxelles. Ban connaissait Mathilde et ses principaux intérêts : les enfants, l’enseignement, la coopération au développement et les filles. « Ce fut donc un honneur que l’on me demande de contribuer à promouvoir internationalement ces objectifs” », déclare Mathilde, « car 2030, c’est demain. Le changement doit avoir lieu aujourd’hui. » À un autre moment de la discussion, elle répète cette phrase, mais elle sonne davantage comme le jargon des institutions multilatérales : « Le temps des justifications est révolu. Désormais, le moment est venu de mettre les engagements en œuvre ».

J’avais espéré quelques anecdotes à propos des réunions des Global SDG Advocates, ou sur la reine conversant avec Lionel Messi à propos des résultats toujours médiocres des équipes belges à la Ligue des champions, ou encore de sa discussion avec Shakira sur les goûts musicaux de ses enfants. Mais les 17 défenseurs ne se sont encore jamais rencontrés physiquement, bien que la reine ait organisé l’année passée  une rencontre avec certains de ces ambassadeurs à l’occasion des Journées européennes du développement.

Les vedettes de la télévision étaient absentes, mais les personnalités du développement, telles que la lauréate du prix Nobel Leymah Gbowee, Jeffrey Sachs, la vice-secrétaire générale des Nations unies Amina Mohammed et le lauréat du prix Nobel Muhammad Yunus avaient fait le déplacement. Avec le ministre De Croo, Neven Mimica, commissaire européen pour la coopération internationale et le développement et un certain nombre d’autres leaders issus de la politique, de la société civile et des entreprises, ils ont abordés les manières d’accroître la visibilité de l’Agenda 2030 et de le promouvoir. Je n’ai donc eu droit à aucun potin.

Perspectives positives

En regardant les ODD de plus près, on remarque immédiatement que la reine Mathilde met l’accent sur les ODD 3, 4 et 5 : « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge. Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ».

« D’une mission visant à apporter des changements principalement au Sud, le développement évolue de plus en plus vers un constat universel selon lequel tout le monde est responsable de l’avenir commun. »

Il s’agit d’objectifs dans la lignée directe des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), qui avaient été annoncés en 2000 et servaient jusqu’en 2015 de fil conducteur pour les investissements de la communauté internationale et les autorités nationales dans le développement du Sud. Néanmoins, « chacun des 17 objectifs est important », confirme Mathilde. « Les ODD changent le débat à propos d’un constat Nord-Sud, visant à apporter des changements principalement au Sud, en un constat inclusif et universel selon lequel tout le monde est responsable de l’avenir commun. Les « pays en développement » deviennent ainsi des acteurs à part entière eux aussi, mais les entreprises sont également responsabilisées. »

« Nous devons agir de manière cohérente », déclare Mathilde. Tenir nos promesses. Elle n’entend pas forcément cela comme un appel au gouvernement belge à travailler enfin à la cohérence politique pour le développement - la reine n’est pas autorisée à empiéter sur le terrain du gouvernement élu démocratiquement- mais davantage comme un appel personnel. Elle constate que les jeunes générations d’aujourd’hui y sont très sensibles. « Les jeunes sont intuitivement très actifs par rapport à l’Agenda 2030 », annonce la reine en parfait jargon onusien. « Et ils réalisent que leur engagement ne doit pas toujours être énorme, tant qu’il est réel. La question est : cette humanité et cet engagement quotidien sont-ils assez visibles ? »

Je lui demande s’il n’existe pas, outre cet idéalisme de bas en haut, un cynisme grandissant, alimenté par l’incapacité des gouvernements à vraiment entreprendre quelque chose pour, par exemple, aborder le changement climatique ?

« La résilience des personnes vulnérables, leur capacité à toujours se relever et à trouver la force de survivre me laisse pleine d’admiration. »

Mathilde ne dément pas, mais rappelle une perspective positive : « Ces dernières années,  beaucoup de choses ont évolué positivement. La mortalité infantile a été réduite de moitié, la mortalité maternelle a clairement régressé, beaucoup plus d’enfants fréquentent les bancs de l’école… Les défis restent de taille, mais nous devons oser constater les réalisations existantes, et nous atteler à la tâche sur cette base ». Elle est confortée dans cette perspective pleine d’espoir en se rendant sur le terrain, en voyant de ses propres yeux comment les gens - également ceux qui n’ont littéralement rien - s’engagent pour une meilleure société. « Je ne veux pas m’enfermer dans le négatif. Je préfère me concentrer sur ce qui est positif et réaliste. La résilience des personnes vulnérables, leur capacité à toujours se relever et à trouver la force de survivre me laisse pleine d’admiration. »

© Brecht Goris

 

L’enfer

Pour illustrer cette vitalité à toute épreuve, Mathilde nous énonce l’histoire d’un homme de 55 ans qu’elle a récemment rencontré : « Le visage de cet homme était marqué par le souvenir de sa pénible histoire. Son nez de travers était un vestige de sa jeunesse pleine de violence, au cours de laquelle son père lui jetait à la figure tout ce qu’il lui passait sous la main. Il a été laissé inconscient dans la rue, et est tombé par la suite dans la petite délinquance, et plus. Il connaissait tous les juges de la jeunesse de la région, jusqu’à ce jour où l’un d’eux l’a regardé droit dans les yeux et lui a dit : « Tu es assez intelligent pour obtenir un diplôme. » Cette fois-là, quand quelqu’un a cru en lui, a fait la différence pour lui. « J’existais aux yeux de quelqu’un d’autre », m’a-t-il raconté. « Et en effet, il a obtenu un diplôme et est retourné voir ce juge pour lui montrer et le remercier. Il voulait lui prouver qu’il en était effectivement capable. Entre-temps, il s’est marié et gère avec sa femme un foyer d’accueil pour les jeunes ayant un lourd passé. »

La reine aime raconter ce genre d’histoire avec passion. « Il y a aussi cette petite dame âgée, originaire de Budapest. À 16 ans, elle s’est retrouvée à Auschwitz, où elle a perdu tous les siens. Je ne sais pas si j’ai vu un jour d’autres yeux si puissants; en tous les cas, j’étais si impressionnée que j’ai par la suite emmené mes enfants la voir au fin fond de la France. Un voyage de 700 kilomètres pour leur faire écouter son histoire, mais aussi son message d’espoir. »

« J’ai connu l’enfer », racontait-elle. « Mais même en enfer, l’humanité existe et survit. »

« J’ai connu l’enfer », racontait-elle. « Mais même en enfer, l’humanité existe et survit. Une femme mourante m’a donné son bout de pain, avec pour consigne de survivre. » Elle a aussi parlé de son père qui, avant la guerre, ne lui demandait jamais si elle avait eu de beaux points à l’école, mais bien si elle avait posé les bonnes questions. « C’est le plus important quand on est enfant, adolescent, humain : apprendre à poser les bonnes questions », a-t-elle enseigné à mes enfants.”

La devise de son engagement en faveur des objectifs de développement durables, elle l’a empruntée à Ban Ki-moon, nous dit-elle : « Personne ne doit être laissé de côté ». C’est pour cette raison que la reine trouve l’enseignement si essentiel, tout comme la santé. Et en particulier la santé mentale, précise-t-elle. « Car les enfants qui survivent à des conflits et à la violence ne se débarrassent pas facilement de leur traumatisme. Ils doivent en guérir, ou ils en souffriront toute leur vie. »

Si elle est si motivée par les ODD, c’est parce qu’ils rassemblent tous les acteurs derrière des objectifs communs : le gouvernement, la société civile, les entreprises. « Ensemble, ils peuvent faire la différence », croit Mathilde. À la question de savoir si elle demande aussi des comptes au gouvernement belge à propos des contradictions dans sa politique, ou sur les économies réalisées en matière de sécurité sociale ou de coopération au développement, la reine répond par un sourire royal et diplomatique : « Je préfère investir mon énergie dans les encouragements que dans les remontrances. »

Cet entretien est publié dans le numéro du Printemps 2018 de MO*magazine, www.MO.be

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