Du Corona au climat : le Resilience Management Group veut résoudre les urgences en pensant à long terme

Roland Moreau : "S'endetter pour sauver l'économie du passé est éthiquement irresponsable".

“Je ne comprends pas l’attitude du VOKA”, répond Roland Moreau à la question de savoir pourquoi le gouvernement flamand s’oppose au Green Deal européen. Moreau a travaillé dans de grandes entreprises, des organisations environnementales internationales et le gouvernement fédéral. C’est donc un homme ‘du centre’, mais radicalement concerné : “Les comptes de la planète montrent que l’économie fossile du XXe siècle est en faillite”.

Roland Moreau dit qu’il déteste ça! Il ne parle même pas de la crise du corona ou des dangers d’une mauvaise relance, mais du simple fait que nous, les Belges, ne nous connaissons plus. Ce n’est qu’après notre question pour une interview qu’il a recherché des informations sur MO* (ce qui lui a fait connaître un “support progressif, objectif et qualitatif”, dit-il). D’autre part, qui parmi les lecteurs flamands connaît Moreau ?

Roland Moreau a commencé sa carrière comme ingénieur commercial chez Unilever et Umicore, est passé à la gestion des déchets et après 25 ans dans l’industrie a fait un virage à 180° pour devenir directeur général de Greenpeace Belgique. Il a ensuite passé seize ans en tant que directeur de l’environnement au SPF Santé et comme président du Comité belge de coordination de la politique internationale de l’environnement. Aujourd’hui, en tant que retraité, il est président de la section européenne du Club de Rome, représentant du mouvement environnemental au CESEW (Conseil Economique, Social & Environnemental de Wallonie) et membre des conseils d’administration de WWF Belgique, Be-Planet et Groupe One, entre autres.

Moreau est également co-initiateur du Resilience Management Group, dans lequel des universitaires, des économistes et des entrepreneurs de transition francophones et néerlandophones réfléchissent à un avenir durable après la crise du Corona. Il se réjouit de voir que les ONGs et une multitude d’autres groupes ont des initiatives similaires et espère qu’ils vont bientôt unir leurs forces et se renforcer mutuellement : “c’est bien d’avoir raison, c’est bien mieux d’obtenir raison” ! (richesse du NL: “goed om gelijk te hebben; beter om gelijk te krijgen”)
Roland Moreau : Je suis quelqu’un qui croit au “et” plutôt qu’au “ou”. Beaucoup trop de gens vivent et pensent en silos et abordent toujours le monde avec des questions du genre: santé ou économie ? Maintenons-nous le déconfinement parce que la santé est une priorité absolue, ou décidons-nous de le relacher parce que l’économie ne tolère plus ce statu quo ? Une approche équilibrée conjugue la préoccupation du travail et de l’économie avec le respect de la santé et de la société.

Peut-on toujours choisir l’un et l’autre en période de crise ?

Roland Moreau : Il s’agit avant tout d’une crise sanitaire que les hôpitaux belges et le système de soins de santé gèrent au mieux. Ces travailleurs de la santé font actuellement des miracles ! Mais en attendant, nous sommes également en pleine crise économique, et si nous ne la traitons pas correctement, nous nous retrouverons dans une crise sociale sans précédent. Nous devons donc réfléchir et agir ensemble.

Sans confiance mutuelle et sans cohésion dans la société, nous ne pouvons pas avancer

D’ailleurs, la pensée en silo est également responsable de la lenteur des progrès dans la recherche d’une plus grande durabilité. Au lieu de travailler ensemble sur une économie et une société tournées vers l’avenir, chacun critique les autres. Mais sans confiance mutuelle et sans cohésion dans la société, nous ne pouvons pas avancer.

La confiance et les “tous ensemble” sont beaux et nécessaires, mais cela ne semble-t-il pas un peu artificiel quand on ne fait pas les comptes ?

Roland Moreau : Ce nouveau coronavirus amplifie tout, y compris les inégalités dans la société. Il faut espérer que cela contribuera à convaincre tout le monde qu’à l’avenir, la lutte contre les inégalités devra également être renforcée et accrue.

Si le gouvernement utilise maintenant tous ses grands investissements dans l’économie pour revenir à celle du XXe siècle, il risque de compromettre à la fois l’avenir de la planète et l’avenir des travailleurs et de l’emploi. Car les secteurs économiques qui pèsent trop lourdement sur le climat ou la biodiversité n’ont pas d’avenir s’ils ne se réinventent pas. Nous devons continuer à le répéter, même en pleine crise sanitaire.

Si on ne parvient pas à restaurer un cadre de vie sain, on ne peut garantir ni la santé humaine ni une économie florissante. La science est claire : pour limiter le changement climatique ou prévenir une perte catastrophique de biodiversité, nous ne pouvons plus nous permettre de perdre le moindre mois de temps, et donc certainement pas dix ans. Investir maintenant dans les erreurs du passé est éthiquement inacceptable.

Investir maintenant dans les erreurs du passé est éthiquement inacceptable

Cela se produit pourtant à tous les niveaux : consommation personnelle, stratégie commerciale, politique.

Roland Moreau : Tout comptable, directeur ou PDG sait qu’il existe un lien entre le compte de résultat d’une entreprise et son bilan. Mais au niveau macroéconomique, nous présentons chaque année la mesure de la ‘croissance’ par le biais du produit intérieur brut sans faire le moindre lien avec les impacts négatifs et la perte de valeur du capital naturel qui sous-tend la vie humaine et la production. En d’autres termes : la croissance économique autour de laquelle nous organisons tout est en partie illusoire.

L’ingénieur commercial en vous comprend bien pourquoi les entreprises calculent ainsi. Tant que tout le monde n’intègre pas le coût environnemental total, celui qui le fait n’est pas compétitif.

Roland Moreau : Bien sûr. C’est pourquoi des règles et des accords clairs sont nécessaires, y compris au niveau international. Je plaide aussi fortement pour une intervention gouvernementale, aujourd’hui massive, qui encourage les entreprises à réduire leur empreinte écologique ou qui opte clairement pour les entreprises ayant un plan de transition. Parce que ce sont elles qui créent les emplois de l’avenir. Le gouvernement ne doit pas faire de chèque en blanc, mais stipuler les conditions de l’aide, comme par exemple l’accord selon lequel une entreprise qui reçoit une aide aujourd’hui ne paiera pas de dividendes pendant un certain nombre d’années. Pour faire un jeu de mots : le monde de demain n’a pas besoin d’une ‘copie-carbone’ de l’économie d’hier!

Le monde de demain n’a pas besoin d’une ‘copie-carbone’ de l’économie d’hier

L’année dernière, les jeunes ont montré très clairement dans les rues qu’ils développent une conscience plus aiguë. Ils se considèrent comme faisant partie de la nature plutôt que d’en être de simples gestionnaires. Cela augmente les chances de les voir mener de meilleures politiques.

Mais les jeunes n’ont pas le pouvoir de faire les choix importants, et même la population ne l’a pas.

Roland Moreau : C’est vrai, mais il faut voir les choses à long terme. Sur le plan économique, nous devons nous débarrasser de la pression de la croissance et du profit sur une base trimestrielle. Même au sein du Forum économique mondial — où se réunissent les véritables pouvoirs — vous voyez des signes de prise de conscience que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Elle est encore marginale pour l’instant et se limite souvent à la responsabilité sociale des entreprises et à des initiatives similaires. Mais vous entendez aussi des voix qui suggèrent un mode de production complètement différent, elles émanent de PDG qui ont compris que, sans transition, la plupart des productions ne seront plus possibles dans dix ou vingt ans.

Le cadre dans lequel les entreprises doivent travailler à l’avenir est défini depuis 2015 dans l’Accord de Paris sur le climat et dans les Objectifs de développement durable. Et depuis décembre 2019 aussi dans le Green Deal européen.

La Belgique se distancie de l’UE. Apparemment, notre pays ne veut pas d’un Green Deal ambitieux.

Roland Moreau : J’ai été président du Comité belge de coordination de la politique internationale de l’environnement pendant seize ans. Pendant toute cette période, il y a eu un seul dossier sur lequel nous n’avons pas pu trouver d’accord entre les régions, mais pour tous les autres dossiers, nous avons pu formuler une position belge. Je trouve inconcevable que cela ne soit pas possible maintenant, pour le Green Deal. Il est inacceptable que la Belgique ne soutienne pas un Green Deal ambitieux, comme le font la France, l’Allemagne et une douzaine d’autres États membres. La raison ? Nous ne parvenons pas au nécessaire consensus entre les trois régions et le niveau fédéral, car une région fait obstruction.

Qu’est-ce qui motive la Flandre à résister ?

On ne sauve pas le climat en délocalisant une usine de production de l’Europe vers un pays où les règles sont si faibles que les émissions doublent

Roland Moreau : C’est un mystère pour moi. Depuis des décennies, le VOKA (l’organisation faîtière des entrepreneurs flamands) insiste sur l’importance de conditions de concurrence équitables – le famaux ‘level-playing-field’ : fixer la barre au même niveau pour tous, afin que les efforts et les règles sociales ou écologiques n’entraînent pas un désavantage concurrentiel. D’ailleurs, je suis tout à fait d’accord avec cela. On ne sauve pas le climat en délocalisant une usine de production de l’Europe vers un pays où les règles sont si faibles que les émissions doublent et que les transports s’y ajoutent en grand nombre.

Le Green Deal européen veut créer des conditions de concurrence équitables au sein de l’UE, à un niveau ambitieux. Et l’un des objectifs du Green Deal est d’empêcher les distorsions de concurrence de la part de pays hors UE moins ambitieux en matière de climat, par exemple par le biais d’une sorte de taxe à l’importation sur ces produits. La Flandre compte de nombreuses entreprises innovantes et compétitives, également dans l’économie circulaire, qui en bénéficieraient, et pourtant VOKA s’y oppose. Je ne comprends pas cela.

Vous faites référence aux entrepreneurs flamands, mais en réalité, le gouvernement flamand doit faire ses propres choix. En 2020, les gouvernements disposent-ils encore de suffisamment d’instruments et de pouvoir pour prendre leurs propres décisions ?

Roland Moreau : Sans plonger immédiatement dans le vaste débat sur le capitalisme, cette crise montre clairement que le gouvernement a un rôle important à jouer et qu’il doit vraiment remplir ce rôle. C’est exactement ce que le Green Deal européen tente de faire. L’opposition ne se joue pas entre les autorités et les entreprises mais au sein de chaque secteur, entre ceux qui construisent un avenir durable et inclusif et ceux qui s’accrochent à la production, à la consommation et au mode de vie non durables du passé. Aujourd’hui, malheureusement, les représentants du XXe siècle ont encore le pouvoir et ils se battront et feront pression pour le conserver le plus longtemps possible.

Aujourd’hui, malheureusement, les représentants du XXe siècle ont encore le pouvoir et ils se battront et feront pression pour le conserver le plus longtemps possible

Les gouvernements, qui doivent donner la priorité au bien-être social, ne peuvent pas s’incliner devant le petit groupe qui veut assurer ses intérêts à court terme au détriment du bien commun à long terme. Car si les énormes investissements publics d’aujourd’hui servent à revenir au ‘business as usual’, alors, soyons clairs, c’est foutu!

Au cours des dernières décennies, tous les espoirs ont été placés dans l’augmentation du commerce international. La crise actuelle montre à quel point les chaînes d’approvisionnement internationales sont vulnérables. Le temps de la mondialisation est-il terminé ?

Roland Moreau : Le libre-échange ne devrait pas être une religion, mais un moyen de créer plus de bien-être. L’économie mondiale doit-elle se relocaliser ? Sans aucun doute. L’importance de chaînes valeurs simplifiées, de circuits-courts, d’économie circulaire et de la réindustrialisation de l’Europe a été suffisamment démontrée pendant cette crise. Tout le monde veut maintenant des entreprises capables de fabriquer leurs propres masques buccaux! La Flandre, Bruxelles, la Wallonie, tous les Länder de la République fédérale d’Allemagne, tous les États membres de l’UE…

Cela me semble être une réaction excessive, et elle pourrait être de courte durée. Nous devons corriger la mondialisation, mais ce n’est pas une raison de nous tourner vers le protectionnisme. La question essentielle est de savoir si nous pouvons effectivement produire davantage dans notre propre région européenne, mais aussi s’il existe une confiance suffisante entre les pays pour avoir la certitude que les approvisionnements seront garantis, même en cas de crise.

En tout cas, la crise du corona prouve que les personnes et les sociétés peuvent changer leur comportement rapidement et fondamentalement. La question est de savoir si cette constatation peut aussi être faite dans le contexte de cette crise beaucoup plus large mais plus lancinante qu’est le changement climatique.

Roland Moreau : La peur est au cœur de l’approche actuelle et de la volonté des gens de se conformer à des réglementations sans précédent. La peur d’une maladie inconnue, la peur de transmettre une infection, la peur que le système de santé s’effondre. La peur de la mort à court terme. Le mouvement environnemental a utilisé cette émotion à de nombreuses reprises, depuis que Rachel Carson a averti en 1961 que les oiseaux avaient disparu en utilisant l’herbicide DDT.

Les gens ont besoin de beaucoup plus d’informations qui leur permettent de savoir clairement ce qu’est la crise climatique et ce qu’elle signifie réellement pour eux

Mais cela ne fonctionne pas en Europe, ou pas encore, pour le réchauffement climatique. Au Bangladesh et en Afrique centrale, les gens subissent déjà durement les conséquences du changement climatique qui perturbe et menace leur vie; chez nous pas encore, ou insuffisamment, pour nous pousser à changer rapidement et fondamentalement pour éviter les conséquences futures.

En d’autres termes, les gens ont besoin de beaucoup plus d’informations qui leur permettent de savoir clairement ce qu’est la crise climatique et ce qu’elle signifie réellement pour eux. Et en même temps, nous avons besoin de plus de coopération internationale, car tant qu’il y aura un pays qui ne participe pas aux accords, des entreprises et des citoyens pourraient se dire que leurs propres efforts sont inutiles.

C’est une observation assez pessimiste. Parce qu’il y aura toujours un Trump ou un Bolsonaro au pouvoir quelque part. Si les entreprises ne peuvent pas résister à cela, et si les citoyens ne bougent que lorsque la peur devient tangible, alors la conclusion pourrait être que le monde n’agira que lorsqu’il sera trop tard, n’est-ce pas ?

Roland Moreau : Votre résumé n’est pas faux, mais la conclusion l’est. Ce n’est pas parce que notre analyse est correcte que nous ne devons devenir pessimistes; nous devons au contraire en retirer la conviction de nous mobiliser davantage. Plus d’information, plus de sensibilisation, de meilleures propositions : telle doit être la conclusion. Avec ma tête, je suis parfois pessimiste, mais mon cœur ne le permet pas. Il veut aller de l’avant vers un avenir meilleur pour et tou.te.s sur cette planète.

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