L'Est du Congo en 2012: la faillite d'Umoja Wetu

Pour une bonne compréhension de l’histoire contemporaine conflictuelle de l’est du Congo, il est important de savoir qu’il y a au moins trois niveaux de conflit qui se rejoignent dans un contexte local qui est déjà très compliqué en lui-même. Les trois niveaux se chevauchent et se renforcent mutuellement, mais aucun d’eux ne peut être réduit à l’un des autres.

  • Kris Berwouts, expert indépendant sur l’Afrique Centrale

Conflit(s) : un seul ou plusieurs ?

En premier lieu, il y a la lutte pour le pouvoir à Kinshasa après le démantèlement de l’Etat congolais. Déjà dans les semaines qui ont suivi l’indépendance, le Congo a sombré dans une crise constitutionnelle et institutionnelle. Le pays est devenu un pion sur l’échiquier de la guerre froide. Au courant des années, l’Etat a été si mal géré que l’on a du inventer le mot kleptocratie pour lui; les institutions étatiques et les mandats publics étaient considérés comme des instruments d’enrichissement personnel. Il en a résulté une crise de légitimité, un Etat ruiné qui avait besoin d’être réhabilité de presque rien, et l’absence totale d’instruments pour un Etat pour pouvoir imposer la primauté du droit. La réhabilitation de l’Etat congolais est une condition pour une paix durable en Afrique centrale, mais le processus se déroule avec beaucoup de difficultés et des marches en arrière régulières. Pendant la première législature, la Troisième République est restée en chantier, et la deuxième législature a connu un très mauvais départ à cause des élections contestées par beaucoup de gens, au Congo même et en dehors du pays

Puis il y a la guerre Rwandaise et le génocide qui ont été exportés au Congo après la fuite de deux millions de Hutus Rwandais. L’implication du Rwanda dans la chute de Mobutu et la guerre de 1998-2002 en ont été la conséquence, ainsi que.la présence permanente de l’opposition armée Rwandaise sur le sol congolais et la présence maintenue de groupes armés dirigés par des Tutsis congolais soutenus par le Rwanda. Tout ceci a un impact sur les événements et les évolutions s en RDC. La ,  relation entre les deux pays et de l’évolution de la situation politique et du respect des droits humains à l’intérieur du Rwanda, aura toujours une influence sur le Congo.

Troisièmement, il y a la course pour les ressources naturelles du Congo, dont l’exploitation a depuis longtemps échappé au contrôle de l’Etat parce que l’exploitation minière et la commercialisation étaient organisées par des réseaux parallèles et illégaux. Les années ‘90 n’ont pas créé l’exploitation parallèle des ressources naturelles mais en ont changé la direction: Kampala et Kigali devinrent les principaux axes pour les minerais, venant du Congo et vendus sur le marché mondial, souvent passant à travers les ports d’Afrique de l’Est, les pays arabes ou le sous-continent indien.

Ces trois niveaux viennent s’ajouter à une situation locale complexe avec des relations compliquées entre communautés et un problème foncier avec une pression démographique forte.

Umoja Wetu, un nouvel ordre régional

Nous n’allons pas reproduire l’histoire récente des Grands Lacs dans les détails, mais il est important qu’on se souvienne d’UmojaWetu en janvier 2009. Dans cette opération militaire conjointe, les armées du Rwanda et du Congo ont voulu démanteler les FDLR, mais elle a surtout consolidé un accord, non seulement entre ces deux pays, mais aussi  entre la RDC et le CNDP. Le CNDP s’est intégré dans l’armée congolaise. Compte tenu de la faiblesse des FARDC, il était prévisible que le CNDP allait dominer ce processus. Le résultat de l’intégration du CNDP est qu’il était  plus grand qu’avant : grâce à Umoja Wetu, le CNDP contrôlait un effectif plus important dans un rayon géographique considérablement plus large. Et surtout, les unités CNDP avaient gagné un accès à (et un contrôle sur) des zones économiquement intéressantes. Comme sa chaîne de commandement était restée intacte, le CNDP restait en dehors du contrôle du pouvoir à Kinshasa, en tant qu’armée dans l’armée, avec un commandement parallèle.

Umoja Wetu n’était pas un mariage d’amour mais une alliance de raison. Ni Kabila ni Kagame n’avait beaucoup d’autres options. Kabila n’avait pas d’autres options parce qu’on le laissait seul devant une situation politiquement et militairement humiliante. Kagame n’avait pas d’autres options parce qu’il se trouvait devant un changement de ton de la part de ses partenaires auparavant acquis à sa cause.

Mais Umoja Wetu a renversé toute la logique qui a dominé la sous-région à partir de 1998. Pour matérialiser l’accord et l’opération, le CNDP et le Rwanda ont dû sacrifier Laurent Nkunda, qui était remplacé par Bosco Ntaganda. Cette décapitation au sommet du mouvement a été mal digérée à la base et reste jusqu’aujourd’hui une pomme de discorde dans les rangs du CNDP.

2012, année post-électorale

Tout au long de l’année 2011, le paysage politico-militaire à l’est du Congo était nerveux mais relativement calme. Tous les acteurs se mobilisaient et se positionnaient autour des élections et en attendant les résultats et les configurations politiques, administratives et militaires qui allaient en sortir. Comme on l’a vu aussi dans d’autres contextes électoraux, le potentiel de violence des élections s’est concrétisé après le scrutin : le paysage s’est rapidement mis en mouvement dans les premiers mois de 2012, et de façon accélérée depuis la défection de Bosco Ntaganda début avril.

Le « Killer-King du Nord-Kivu » était devenu un casse-tête majeur pour Kabila, fortement affaibli et déçu par les élections du 28 novembre, à cause de la façon dont il a été réélu. Ses partenaires internationaux, et notamment occidentaux, lui mettaient de plus en plus la pression, entre autre pour l’extradition de Bosco Ntaganda à la CPI. En plus, Bosco était engagé depuis 2009 dans le commerce de ressources naturelles en exploitant ses réseaux et circuits parallèles. En élargissant cette activité, il a commencé à nuire aux intérêts économiques de hauts officiers aussi bien rwandais que congolais. Début 2012, Ntaganda avait compris qu’il y avait un large consensus à le faire disparaître du terrain. Bosco a fait ce qu’il a toujours fait quand il se sentait menacé : il s’est replié dans des parties de Rutshuru et de Masisi.

Peu après, le M23 était créé, tout d’abord un instrument d’une partie du leadership CNDP pour renforcer leur positionnement. Un peu étonnant, nous avons déjà dit que le CNDP s’était renforcé énormément avec son intégration dans les FARDC. Je trouvais (et je le trouve encore) très difficile comment le M23 pourrait obtenir plus par un nouveau combat, comparé à ce qu’ils avaient obtenu par le processus Umoja Wetu. Le M23 semblait un mort-né, mais le mouvement a trouvé une nouvelle dynamique début mai. Personnellement, je crois que l’accélération  de la rébellion était liée au fait que le Président Kabila a voulu capitaliser l’arrestation imminente de Bosco pour démanteler la chaîne de commandement parallèle du CNDP au sein de l’armée, ce qui faisait des ex-rebelles une armée dans l’armée, presqu’un Etat dans l’Etat. De plus, fin avril, on avait commencé à muter vers d’autres provinces des militaires tutsis qui, jusque-là, n’avaient pas voulu quitter le Kivu. Cette délocalisation et ce démantèlement étaient et restent l’ultime tabou pour le leadership CNDP. Je n’ai jamais eu l’impression que le M23 était vraiment créé pour commencer une nouvelle guerre ou pour acquérir le pouvoir, mais pour obtenir des nouvelles négociations (en fonction d’un meilleur positionnement de l’Etat et dans les FARDC), et pour bloquer le démantèlement du CNDP comme armée dans l’armée, et empêcher la délocalisation de ses militaires.

Ceci ne veut pas dire que l’existence du M23 n’est pas un réel danger. Le fait qu’on n’arrive pas de désamorcer cette bombe a des conséquences importantes à plusieurs niveaux:

  • Tout d’abord il y a une situation absolument inacceptable à cause des violations des droits humains massives et le fait que la population continue à se déplacer par dizaines de milliers, comme en témoignent les différents rapports des ONG humanitaires et de droits humains.
  • La situation continue à pourrir au sein de l’armée, où tout le monde commence à se méfier de tout le monde, de ses supérieurs, de ses subordonnés ; où tout le monde redoute la trahison. Depuis Umoja Wetu, il existe une grande frustration dans les composantes non-CNDP dans l’armée qui ne comprennent pas comment leurs anciens adversaires ont pu prendre un tel espace dans l’armée en si peu de temps. Il y a beaucoup de désertions de la part d’officiers frustrés, des nouveaux mouvements se créent ainsi des micro-milices qui sont souvent difficile à identifier mais qui vivent sur le dos de la population. Et quand on creuse sous la surface, on voit comment des politiciens nationaux et provinciaux essayent d’instrumentaliser les groupes armés pour mieux se positionner sur la scène politique.
  • La situation continue à pourrir entre les communautés (par exemple l’escalade rapide entre Raia Mutomboki et Nyatura au nord du Sud-Kivu). Je donne quelques exemples dans mon article « DRC: Fizi To Goma Via Bukavu (Then Kinshasa) – Kris Berwouts Goes On The Road In Congo»
  • Le fait que le gouvernement n’arrive pas à contrôler cette situation affaiblit davantage Kabila. Au lendemain des élections, le Congo se trouvait dans une situation précaire. Kabila a tenté de s’en sortir, nommé un Premier Ministre apprécié comme Matata Mponyo, mais la crédibilité qu’il regagnait progressivement est en train de disparaître. La situation est assez précaire pour Kabila : son alliance avec Kagame depuis Umoja Wetu lui avait coûté beaucoup de sa popularité au Kivu, où la population souffrait du fait que le CNDP capitalisait sa position renforcée : ses militaires savaient qu’ils pouvaient se permettre beaucoup sans trop de risques d’être poursuivis. Avec l’appui du Rwanda au M23, Kabila perd son allié le plus stable des dernières années, mais une partie importante de son électorat à l’est du pays a perdu sa confiance en lui.

Le rôle du Rwanda

Une des questions-clef est : qu’est-ce qui motive le Rwanda à soutenir le M23 ? Grâce à son alliance avec le Congo depuis Umoja Wetu,  le Rwanda pouvait, à travers le CNDP, maintenir son contrôle sur l’exploitation et le trafic des ressources naturelles congolaises. Qu’est-ce que le Rwanda avait à gagner dans une nouvelle guerre ? Je vois la démarche rwandaise pour acquérir et garder le contrôle sur les ressources naturelles en RDC en trois phases : depuis 1998 et 2002, le Rwanda s’y imposait à travers sa propre armée ; entre 2002 et 2009 à travers son appui militaire à la rébellion du CNDP, et depuis lors en capitalisant sur un partenariat inégal entre un état relativement fort (le Rwanda) et un état très faible (la RDC). Je trouve les rapports sur l’implication rwandaise convaincants (notamment celui du Panel d’experts), mais je ne comprends pas la démarche. Je ne comprends pas ce que le Rwanda pense pouvoir gagner.

Peut-être, la logique ne doit pas seulement être recherchée du côté congolais, au Rwanda aussi il y a des évolutions : la défection, voici deux ans, de généraux de haut rang comme le général Kayumba Nyamwasa, a entraîné des mutations dans le premier cercle autour du président Kagame, où des anglophones ont reculé au profit de personnalités plus jeunes, plus intellectuelles et plus francophones, donc plus proches du Congo. Je n’exclue pas le fait que l’appui rwandais au M23 est surtout une démarche des Tutsis congolais pour capitaliser sur le terrain kivutien le fait qu’ils ont renforcé leur position autour de Kagame, qui se trouve d’ailleurs à la moitié de son deuxième et dernier mandat.

Communauté internationale, abstraction et impuissance

A aucun moment, la communauté internationale a pu créer l’impression qu’elle veut ou peut faire la différence. Ceci devrait nous inspirer à questionner son intervention :

Peut-être, les partenaires internationaux n’ont pas les bons instruments pour faire la différence. Dans mes missions des dernières années, j’ai été constamment confronté aux limites de l’impact de l’action internationale autour du Congo. Ceci a entre autre à faire avec le fait que la communauté internationale essaye d’encadrer le Congo sur base des schémas classique en mettant des paquets standardisés qui ont été conçus  pour des contextes post-conflit, tandis que la page du conflit n’a, jusque maintenant, jamais vraiment été tournée en Afrique centrale.

Il est important que les partenaires occidentaux du Congo ne limitent pas leur contribution (aux processus électoraux, les RSS,…) aux aspects matériaux et logistiques. Ils doivent insister et veiller sur le respect des normes internationales s’ils veulent garder leur propre crédibilité dans les yeux des leaders de la région, de la population locale et de leurs propres bases électorales.

Les différents acteurs de la communauté internationale ont une connaissance limitée des réalités du terrain, le  niveau grass roots. Ils maîtrisent les procédures et les formalités pour aider à mettre en place les institutions formelles de l’Etat, mais ils ne captent  difficilement les dynamiques complexes à la base. La conséquence est qu’ils considèrent les différentes problématiques d’un perspectif top down, en sous-estimant l’impact que les dynamiques locales peuvent avoir sur ce qui se passe à des niveaux plus élevés. Le focus sur les élections nationales en défaveur des élections locales est un exemple, l’importance des sensibilités et des rapports de force à la base dans les non-réussites du brassage en est un autre.

Le retour de la sécurité à l’est du Congo et dans la région entière passera nécessairement par la renaissance de l’Etat congolais. Cette renaissance nécessitera un accompagnement de la part des partenaires des pays de la région qui se base sur un équilibre fin entre appui massif et vigilance réelle sur la qualité des élections, de l’armée etc. qu’on veut aider à mettre en place.

Le retour de cette sécurité dépendra aussi du fait si ces mêmes partenaires internationaux réussissent à convaincre le Rwanda à respecter la souveraineté du Congo et l’intégrité de son territoire. Les réactions de certains pays qui sont traditionnellement très favorables au Rwanda (USA, UK, Allemagne, Suède, Pays Bas) sur les conclusions du Panel d’experts des Nations Unies étaient encourageantes, mais il reste à confirmer qu’ils ont vraiment l’intention de diminuer/ supprimer leur aide si le Rwanda ne cesse pas de déstabiliser la RDC. Nous attendons des indications claires que ces 5 pays (et les autres) ont une volonté politique réelle pour concrétiser leur pression sur le Rwanda et sont prêts à prendre des mesures effectives.

La stabilité de la région entière dépendra aussi de la mesure dans laquelle le Rwanda réussira à gérer ses propres antagonismes, et dans laquelle le régime actuel FPR renversera sa politique de fermeture et d’exclusion et s’investira dans une politique économique qui prendrait aussi à bord les plus pauvres et dans un espace politique plus libre.

Les deux pays sont condamnés à cohabiter dans la même région. L’échec d’Umoja Wetu pose la question dans quel cadre les litiges et les différentes problématiques transfrontalières pourraient trouver une solution négociée. J’espère que la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs continuera à le grandir dans son rôle. Depuis qu’elle s’est focalisée beaucoup sur la lutte contre le commerce illégal des ressources naturelles, elle a donné les premières preuves de sa pertinence. C’est à ses onze Etats-membres maintenant d’en faire un vrai instrument multilatéral qui contribue à une résolution non-violente des conflits dans la région. Ce qui reste à prouver parce que sans volonté politique réelle, le cadre restera vide.

Kris Berwouts, expert indépendant sur l’Afrique Centrale

Ce texte est son introduction au débat sur l’est du Congo, le 14 septembre à Anvers.

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