Aide-mémoire pour les partis et alliances politiques qui risquent d'oublier l'agriculture dans leur programme électoral

Comment nourrir la RDC demain ?

© Ivan Godfroid

 

En 2018, les défis pour la survie d’une grande tranche de la population de la République démocratique du Congo sont énormes. Le nombre de personnes qui se trouvent en insécurité alimentaire sévère a augmenté de 30% pour atteindre 7,7 millions de congolais. Plus de deux millions d’enfants de moins de 5 ans se trouvent dans une situation de malnutrition aiguë sévère. Voilà ce que les statistiques officielles nous disent. Curieusement, le caractère dramatique de ces chiffres semble échapper à plus d’un. Que penser de ceux-là qui disent que les statistiques ont été largement exagérées par les organisations humanitaires, dans l’espoir de pouvoir ainsi gonfler leur budget? Est-ce du cynisme, de la nonchalance ou du mépris ? A vous de juger. Ou peut-être ne comprennent-ils pas le langage des statisticiens ? Je traduis pour eux: plus de deux millions d’enfants de moins de 5 ans peuvent mourir bientôt par manque de quoi manger. Saisissent-ils l’ampleur de la catastrophe ? Sont-ils conscients que dans l’article 47 de la constitution, il est clairement dit : le droit à la sécurité alimentaire est garanti ? Qui doit garantir ce droit?

Contrairement à d’autres pays, le Congo n’a pas été frappé par une sécheresse, un tremblement de terre ou un tsunami. Les 4,4 millions de déplacés internes n’ont pas fui la famine, au contraire, ils ont abandonné leurs champs en fuyant la guerre et la violence, des désastres causés par les hommes, que le gouvernement n’arrive pas à résoudre ou à prévenir. La famine va les trouver dans leurs lieux de fuite. Sachant que les conflits au Congo naissent tous par une incapacité du gouvernement à installer une gouvernance de la paix, la malnutrition n’est ni plus ni moins le résultat de la mauvaise gouvernance. On comprend mieux maintenant ce refus des chiffres. Car les accepter voudrait dire qu’il faut aussi agir et  reconnaître sa responsabilité.

Ces chiffres nous parlent de la situation de crise à court terme, mais qu’en est-il du plus long terme ? Le Congo sera-t-il capable de nourrir sa population demain ? Pour le savoir, il faut encore recourir aux chiffres. Dommage pour ceux qui n’y croient pas, car ceux-ci sont pourtant très parlants.

« Une ineptie qui ne peut durer »

Prenons l’Indice mondial de la sécurité alimentaire. Sur les 113 pays analysés en 2017, le RDC se trouve à la 112ième place. Seul le Burundi fait pire. En plus, comparé à l’année d’avant, quasiment tous les indicateurs qui composent l’indice ont encore reculé pour la RDC. La situation est donc en train de s’aggraver, contrairement à ce que les discours sur l’état de la nation du président cherchent à nous faire croire.

Avec une population rurale de 70% et une part de l’agriculture dans le PIB de 20%, on s’attendrait à ce que le budget national réserve à l’agriculture au moins les 10% du budget national auxquels le gouvernement congolais s’était engagé, avec ses pairs africains, dans l’accord de Maputo de 2003. Hélas, non seulement le budget pour le secteur agricole n’a jamais dépassé les 3%, mais en plus son taux de réalisation est toujours resté aux alentours de la moitié de ce qui était prévu. En d’autres termes, la quasi-totalité des dépenses réelles faites se limite au fonctionnement des fonctionnaires agricoles et quasiment aucun investissement n’est fait dans le secteur agricole. Et le peu d’investissements qu’on a bien voulu consentir, se sont avérés un échec cuisant.

Rien d’étonnant alors que la RDC dépend gravement de l’extérieur pour nourrir sa population. Chaque année, la RDC importe des aliments pour une valeur totale de 1,5 milliards de dollars, sans compter l’aide d’urgence. Pour un pays à vocation agricole, ceci est difficile à comprendre : ces aliments auraient facilement pu être produits au Congo même. Augustin Matata Ponyo Mapon, ancien premier ministre, dans son livre « Pour un Congo émergent », à la page 61, admet : « cette ineptie ne peut perdurer ». Et Joseph Kabila, président de la république, dans son discours devant le Congrès, mercredi 5 avril 2017 à Kinshasa, a dit : « Il nous faut, en effet, produire ce que nous consommons et conférer de la valeur ajoutée à nos produits destinés, non seulement à la consommation domestique, mais aussi à l’exportation, en vue de les rendre plus compétitifs. » Ce ne sont donc pas les paroles qui manquent, mais bien les actes.

La croissance démographique est sous-estimée

Regardons l’avenir ensemble. Une planification de la sécurité alimentaire commence par une bonne compréhension de la situation démographique. Le seul et unique recensement de la population date de 1984. Qui, 34 ans plus tard, ose encore dire qu’il connaît la taille de la population congolaise ? Faites l’exercice et visitez quelques sites sur lesquels on parle du Congo. Consultez les documents officiels des structures étatiques ou des partenaires internationaux. Vous allez y trouver des chiffres qui varient entre 69 et 89 millions d’habitants.

La source la plus fiable de données actuelles semblent être les zones de santé. En août 2018, un rapport conjoint Minagri - FAO - CAID - PAM a publié une estimation réaliste de la population congolaise à partir des données du Programme Elargi de Vaccination et celle-ci dépasse déjà 97 millions de personnes aujourd’hui. La répartition selon les provinces se présente comme suit :

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Répartition de la population congolaise selon les provinces

Les vrais chiffres risquent d’être encore plus élevés, sachant que les estimations pour Kinshasa dépassaient déjà les 12 millions. Or, le rapport parle de 15,6 millions de ménages agricoles. Si on compte une moyenne de 6 personnes par ménage cela donne déjà plus de 93 millions d’habitants ruraux. Ensemble avec la population urbaine, le vrai chiffre risque de dépasser déjà les 110 millions. Dans tous les cas, une chose est bien claire : tous les chiffres qui s’expriment alors per capita doivent être revus à la baisse, en commençant par le PIB/capita. Si celui-ci avait été calculé à 500$/capita en se basant sur une population de 80 millions d’habitants, mais qu’en réalité la population compte déjà 110 millions d’habitants, le vrai PIB/capita baissera à 363$/capita seulement.

Les terres arables sont sous-valorisées

Selon la Banque mondiale, la superficie des terres cultivées en 2017 est de 7.100.000 ha. D’autres parlent de 10 millions. Cela veut donc dire qu’actuellement, en prenant un chiffre arrodi à 100 millions d’habitants, l’agriculture congolaise dispose de 7,1 à 10 ares par personne pour nourrir la population. Un hectare peut-il nourrir 10 personnes ? Est-ce que ce sera possible ? Aux rendements actuels, on peut en douter. Que faut-il faire alors ? Augmenter la superficie ?

Certains documents parlent d’un potentiel en terres arables en RDC de 80.000.000 ha. Mais d’où vient ce chiffre ? Sachant que la forêt couvre 67% du territoire national, cela sous-entend qu’une partie de la forêt serait sacrifiée pour l’agriculture. Or les changements climatiques qui vont découler de la destruction de la forêt vont justement rendre cette agriculture impossible.

En plus, augmenter la superficie des terres agricoles ne résout en rien le problème-clé de l’agriculture congolaise : les coûts de production par kilo sont trop élevés en RDC, comparés aux coûts de production des pays qui ont investi dans leur agriculture bien avant, comme cela a été le cas en Asie. Voilà la raison pourquoi un kilo de riz, importé de milliers de kilomètres, peut toujours être beaucoup moins cher qu’un kilo produit au Congo. Et son importation occupera ainsi le marché dont pourtant le riziculteur congolais a tant besoin pour être viable.

Ce qu’il faut pour nourrir la RDC demain, devient ainsi de plus en plus clair :

Une politique agricole visionnaire

Le Congo a besoin de dirigeants qui reconnaissent l’importance cruciale du développement du secteur agricole pour l’avenir du pays. Les quelques responsables qui attachent une quelconque attention à l’agriculture aujourd’hui, pensent que le salut devra venir de l’agriculture agro-industrielle. Il y a quelques années, tambour battant, le président Kabila a inauguré le parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, annonçant que désormais les besoins en nourriture de la capitale allaient être couverts par ces investissements externes. Mais l’échec est total et la déception grande. Mettre en œuvre sa réplication dans d’autres provinces, comme prévu initialement, serait insensé. Les investisseurs sud-africains réclament un dédommagement de 20 millions de dollars pour les dégâts subis dans cette mésaventure au Congo.

Dans un pays à vocation agricole avec une population à 70% rurale, il faut plutôt tabler sur la force productive des plus de 15 millions de familles agricoles. Il faut mettre en place une politique d’appui qui les permet d’évoluer de l’agriculture de subsistance, encore très présente aujourd’hui, en une agriculture commerciale. Mais en même temps il faut s’assurer que le marché domestique est réel. Les marchés se trouvent en principe dans les villes au Congo et à l’extérieur. Pour tous ces marchés, la clé du succès c’est la qualité des produits, à un prix abordable. C’est la seule façon d’être compétitif avec les produits importés.

Mais dans les villes congolaises, cela ne suffit pas. Car si les villes sont remplies de chômeurs sans revenus, ils vont continuer à acheter les produits importés à bas prix et qualité médiocre. Ainsi la politique de développement de l’agriculture doit nécessairement être accompagnée par une politique de création d’emplois dans les villes, pour augmenter le pouvoir d’achat des citadins.

En même temps, les villes, qui ne cessent de croître à vive allure, doivent se poser des questions sur leur avenir : comment assurer une alimentation saine à tout le monde ? Comment faire en sorte que les effets du changement climatique soient pris en compte et que l’environnement ne soit pas davantage endommagé pour couvrir les besoins des villes en aliments ? Partout dans le monde, les villes réfléchissent et échangent sur comment relever ces énormes défis. De nouvelles politiques alimentaires urbaines sont en cours d’élaboration (pour devenir des Food Smart Cities). Ces politiques peuvent offrir des opportunités aux agriculteurs des zones péri-urbaines et rurales. Elles peuvent améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et pousser la production et la consommation alimentaires vers une plus grande durabilité. Les agriculteurs devraient avoir voix au chapitre dans les discussions sur ces politiques. Leurs points de vue et leur rôle devraient être valorisés et pris en compte afin qu’ils puissent bénéficier de chaînes d’approvisionnement en aliments plus organisés entre leurs villages et les consommateurs dans les villes. Ce défi crucial pour l’avenir, ne fait aujourd’hui pas partie de l’agenda politique au Congo.

© Ivan Godfroid

Les producteurs se posent déjà la question, à quand les politiciens?

Ce qui jusque-là a ressemblé le plus à une tentative de formulation d’une politique nationale, c’est le PNIA, le Plan national d’investissements agricoles, qui date de 2013 et qui est supposé aller jusqu’en 2020. Mais c’était mettre la charrue devant les bœufs. Un plan doit être une opérationnalisation d’une politique, qui est l’expression d’une vision, accompagnée d’un engagement financier solide et fiable. Or, parmi les activités du PNIA, on prévoyait « la formulation de la politique de développement agricole ». Si vous relisez aujourd’hui, 5 ans après son lancement et deux ans avant sa fin, ce document du PNIA, vous comprenez que c’est encore un plan qui se retrouvera dans les annales de l’histoire comme des promesses vaines. Le peu de temps qui reste, ne permettra plus de faire grand-chose, d’autant plus que les dirigeants du pays se perdent complétement dans leurs petits jeux politiques à court terme. La sécurité alimentaire pour eux n’est pas à l’ordre du jour.

Diriger en connaissance de cause : où sont les statistiques agricoles ?

Comment voulez-vous développer une politique et des stratégies pour demain si vous ne connaissez pas la situation réelle aujourd’hui ? Tous ceux qui ont déjà essayé d’obtenir des chiffres fiables sur n’importe quel sous-secteur agricole au Congo se sont heurtés au même problème : il n’existe pas de statistiques fiables. Un décideur peut baser ses décisions sur quoi, s’il n’est pas informé de la situation actuelle et des tendances du moment ? Les deux derniers recueils de statistiques nationales publiés par l’Institut national de la statistique, datent de 1995 et 2014. A ce rythme-là, le suivant pourra être attendu en 2033. Et entre-temps, le pays sera-t-il géré au pifomètre ?

Créer un environnement légal propice à l’agriculture familiale

La grande majorité des députés ont pu faire leurs études et obtenir leur diplôme grâce à la recette de la production agricole de leurs parents. Comment peuvent-ils oublier ce secteur si important une fois qu’ils entrent au parlement ? La loi portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, datant de 2011, au début de sa formulation au parlement, ne contenait même pas une seule référence à l’agriculture familiale. Il a fallu beaucoup de pression de la part des organisations de producteurs agricoles pour que cette notion soit intégrée. Mais depuis la promulgation de la loi en 2012, elle n’a toujours pas été mise en œuvre, faute de mesures d’application. Les députés, qui doivent tout aux efforts agricoles de leurs parents, ont ainsi trahi l’agriculture familiale, en négligeant de faire le contrôle parlementaire pour éviter que cette loi si importante reste lettre morte. De cette façon ils sont complices à la stagnation de cette agriculture. Il est grand temps qu’ils comprennent que ce secteur est à la base de toute l’économie nationale et que le métier d’agriculteur mérite tout respect et appui, consigné en une loi claire, qui ne reste pas lettre morte.

Professionnalisation de l’agriculture familiale

L’époque où les producteurs agricoles répondaient « je n’en ai pas » à la question quel est leur métier, devrait être révolue à tout jamais. L’agriculture, c’est un beau métier sans lequel le pays ne saurait exister. Il faut accompagner les petits producteurs dans ce défi majeur d’évoluer de l’agriculture de subsistance vers une agriculture professionnelle. Tout part de l’accès aux marchés. Une des erreurs fréquemment commises, c’est d’appuyer les producteurs pour produire plus, pour constater ensuite qu’il n’existe pas de marché pour ces produits. Quelle déception pour eux ! Quelle perte ! Il est donc d’une importance capitale de commencer par une connaissance approfondie des besoins du marché, pour être en mesure de savoir quels produits ne connaîtront pas de problèmes de débouchés. L’approche chaîne de valeur est basée sur cette logique. L’environnement commercial le plus propice pour développer cette approche en RDC, ce sont les coopératives de petits producteurs, spécialisées par culture.

Ces coopératives sont aussi des structures idéales pour organiser la formation technique, visant l’intensification agricole. Point besoin de déployer une armée de vulgarisateurs-fonctionnaires. Il suffit d’offrir un appui technique aux coopératives qui peuvent ensuite relayer ces nouvelles compétences à tous les agriculteurs-membres. Cela peut marcher si la formation est organisée partant des besoins des coopératives. Les méthodes sont bien connues et efficaces. Les champs-école paysans permettent un apprentissage en faisant et en observant.

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Réduire les coûts de production en augmentant la productivité

Accéder aux intrants de qualité à travers l’accès au crédit

La formation seule ne suffit pas. Les techniques agricoles modernes nécessitent un accès durable à des intrants de qualité. Semences, engrais, outils, machines sont indispensables pour gagner le pari de la baisse des coûts de production. Mais ces intrants, vu le manque de capital des petits producteurs, ne peuvent être financés que de deux façons : soit le gouvernement met en place un système de subventions dégressives, soit il encourage le crédit agricole. La Banque de crédit agricole a existé en RDC, de 1982 à 2003, mais elle ignorait les petits producteurs et elle a fait faillite, cannibalisée par le gouvernement. Les crédits des banques commerciales ne sont pas adaptés au secteur agricole (taux d’intérêts trop élevés, périodes de remboursement pas synchronisées avec le cycle des différentes cultures). Récemment, le gouvernement a annoncé une enveloppe de 120 millions de dollars, partant d’un crédit de 80 millions de dollars de la part d’Afrexim Bank et 40 millions de contrepartie de la part des banques commerciales. Mais rien ne montre que l’agriculture familiale sera considérée. Nous devons constater que c’est encore l’agriculture industrielle qui va se voir octroyer les crédits. Equity Bank a annoncé au mois de juillet 2018 qu’ils vont commencer à octroyer des crédits agricoles, mais en y regardant de plus près, il s’agit seulement de crédits d’investissements dans les capacités de transformation, et les critères d’accès à ces crédits risquent une fois de plus d’exclure les agriculteurs familiaux.

Si le Fonds national pour le développement agricole – FONADA – tel que prévu dans la loi agricole, pouvait être conçu comme un fonds de garantie pour le crédit agricole aux agriculteurs familiaux organisés, ce serait un grand pas en avant. Mais rien ne montre que cette intention existe, malgré le plaidoyer dans ce sens entrepris depuis 2016 par la CONAPAC (Confédération nationale des producteurs agricoles du Congo) et ses fédérations provinciales.

Soigner le premier capital de l’agriculteur : le sol

La RDC est parmi les pays qui utilisent le moins d’engrais chimiques du monde entier. La moyenne nationale atteint à peine 4kg/ha. La plupart des systèmes agricoles sont encore basés sur l’agriculture sur brûlis avec des jachères de 20 ans après deux années de culture, ou sur une surexploitation de la terre, suite à la croissance démographique. Les sols tropicaux n’ont pas la même fertilité naturelle qu’ailleurs (à l’exception des sols volcaniques). La pression démographique contraint les producteurs à abandonner les jachères, mais ils font trop peu pour compenser les nutriments exportés par la récolte. Ils sont encore trop nombreux à brûler même la matière organique des résidus dans les champs. Résultat : les sols s’appauvrissent.

Les meilleurs rendements sont obtenus par une gestion bien réfléchie de la fertilité du sol. L’intégration de l’élevage à l’agriculture est indispensable, mais insuffisante, car la matière organique en provenance du fumier ne permet pas de fertiliser toutes les terres, et la science a démontré que la matière organique en provenance de plantes (y compris les résidus) aide à valoriser les engrais plus efficacement. Le mieux c’est l’application des principes agroécologiques dans la gestion intégrée de la fertilité des sols. Non seulement, celle-ci augmente considérablement les rendements, mais réduit aussi l’impact des changements climatiques qui se manifestent de plus en plus sous forme de pluviométrie imprévisible. L’augmentation de la teneur en matière organique permet aux sols de mieux conserver l’eau, protégeant ainsi les plantes contre les sécheresses. Cette approche est beaucoup moins coûteuse que les périmètres d’irrigation qui sont favorisés par les politiciens parce que ceux-ci sont plus visibles. La matière organique permet aussi de mieux valoriser les engrais chimiques, en évitant leur lessivage (à des doses modestes mais significatives de 100 kg/ha).

Tout ceci nécessite un accompagnement de proximité des producteurs par une approche de vulgarisation efficace, ancrée dans les organisations paysannes, notamment à travers les champs-école paysans déjà mentionnés. Très souvent les producteurs rejettent les engrais chimiques à la suite d’expériences négatives. Dans les sols appauvris, en effet, la compétition entre organismes du sol et cultures pour les nutriments en provenance des engrais est élevée, ce qui explique le peu d’impact de ces derniers. C’est une autre raison pourquoi la combinaison d’engrais chimiques avec la matière organique est indispensable en vue d’établir un nouvel équilibre dans ces sols appauvris.

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La fertilité des sols est la clé de réussite de toute agriculture

Une réforme foncière profonde

Nul paysan n’est prêt à investir dans l’agriculture s’il n’a pas la certitude de pouvoir jouir à long terme des résultats de ses efforts. En effet, des investissements-clé, comme dans l’amélioration graduelle de la fertilité des sols, l’agroforesterie, la lutte contre l’érosion ou les plantations de cultures pluriannuelles, demandent des années pour générer un retour à l’investisseur. Or, les systèmes fonciers en vigueur ne sécurisent pas les producteurs, qui peuvent à tout moment tomber victime à un accaparement de leurs terres par des investisseurs étrangers ou nationaux. Une Commission nationale pour la réforme foncière – CONAREF – est à l’œuvre depuis 2013 et une nouvelle loi foncière est annoncée pour 2019, mais il n’existe aucune garantie que cette loi ne subira pas le même sort que la loi agricole et que toutes les attentes des agriculteurs familiaux seront encore une fois déçues.

La recherche agronomique – clé vers l’avenir

L’infrastructure de recherche que la RDC a hérité des colonisateurs était impressionnante. Elle avait une renommée mondiale. Aujourd’hui, les seules recherches qui sont entreprises, sont celles qui sont financées de l’extérieur. A quoi bon de revendiquer à chaque instant la souveraineté nationale, si ce pouvoir n’est pas utilisé pour prendre des décisions courageuses pour investir dans l’amélioration de la production agricole domestique ? La RDC regorge de scientifiques très bien formés, mais ces ressources humaines sont au chômage, faute de moyens, tandis que l’agriculture souffre sous des attaques de la chenille légionnaire, la mouche blanche, les cochenilles, la rouille, le phytophtora, les changements climatiques, pour ne citer que ces quelques menaces.

La biodiversité contenue dans la forêt congolaise cache d’énormes trésors qui peuvent être valorisés autant pour la protection des cultures que pour la diversification et la résilience des productions. Mais ce potentiel immense est complétement négligé. Le gouvernement congolais n’investit pas dans l’agriculture de demain.

La protéine animale

Nombreux sont les congolais pour qui la viande reste un luxe qu’on ne se permet que les jours des occasions festives (fêtes religieuses, mariages, visiteurs de marque). La déficience protéique reste ainsi un problème dans certaines zones rurales éloignées, surtout celles où le manioc forme la base de l’alimentation. Manger la viande de brousse, sachant que c’est un réservoir du virus de l’ebola, ressemble plus au suicide. Les cheptels à l’est du Congo ont été décimés par les maimai, jeunes désœuvrés qui ont été attirés par les seigneurs de guerre avec la promesse de manger la viande tous les jours. Il faut donc réinvestir dans l’élevage/pisciculture intégrés à l’agriculture. Mais on doit aussi apprendre à bien gérer les ressources halieutiques, dont regorge le Congo. L’exploitation sauvage, y compris par des bandes armées qui terrorisent les pêcheurs, par exemple dans le Lac Edouard, menace la survie de la pêche, alors qu’une gestion bien réfléchie, y compris des périodes sans pêche, permettrait d’en augmenter considérablement la productivité.

Une autre source de protéines animales sous-exploitée, ce sont les insectes. Contrairement aux zones plus nordiques de la planète, la consommation d’insectes fait déjà partie des habitudes alimentaires au Congo: termites, criquets, sauterelles, vers de coléoptères, chenilles, les gens en raffolent, mais la recherche congolaise n’a jamais fait de tentative sérieuse pour évoluer de la cueillette saisonnière vers un élevage productif. A cette époque où le monde entier est en train de se rendre compte que l’élevage intensif de mammifères pour la viande ne sera jamais capable de nourrir toute la planète, investir dans la domestication des insectes comestibles assurerait au Congo, pays très propice à l’entomoculture, un marché mondial sans précédents, tout en nourrissant sa propre population et en créant beaucoup d’emplois pour la transformation et le conditionnement des nouveaux produits protéiques pour l’exportation.

Des infrastructures rurales de qualité

On entend souvent dire que sans bonnes routes de desserte agricole et dépôts ruraux, la mise au marché des produits agricoles va de pair avec beaucoup de pertes. Cela n’est pas difficile à comprendre. Il n’est dès lors pas étonnant que les statistiques des différents pays du monde montrent une corrélation directe entre la qualité des infrastructures rurales et le rendement de l’agriculture. En effet, lorsque les producteurs savent que leurs produits pourront atteindre le marché en de bonnes conditions, ils sont motivés à investir dans l’augmentation de la productivité, car ils en seront rémunérés.

Cela veut-il dire que l’Etat doit tout construire pour eux ? Pas du tout. Le rôle de l’Etat c’est de créer les circonstances optimales pour que le secteur privé soit encouragé à participer à la construction, l’amélioration et l’entretien de ces infrastructures. La province du Nord-Kivu donne un bel exemple: lorsque la route Butembo-Beni fut gérée par la FONER (Fonds national pour l’entretien des routes), chaque saison des pluies était un cauchemar. L’argent des payages disparaissait on se sait où et la route devenait impassable. Le gouvernement a fini par remplacer le fonds par une entreprise sino-congolaise, la SOPECO, Curieusement, cette société prenait rapidement les habitudes de son prédécesseur et le chaos revenait avec la grande saison des pluies. Finalement c’est une société privée purement congolaise, Jerryson, qui a été recrutée pour rendre un excellent service. Aujourd’hui, voyager de Butembo à Beni peut se faire en 80 minutes pour le trajet de 52 kilomètres, une moyenne de 39 km/heure, une vitesse très élevée selon les normes congolaises!

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Si jamais ces denrées alimentaires arrivent en ville, en quel état seront-elles?

Renforcer la force productrice des femmes

Le rôle des femmes dans l’agriculture a été négligé depuis trop longtemps. Elles sont la force silencieuse qui prestent le plus gros des travaux champêtres. La professionnalisation de l’agriculture ne pourra pas se faire sans elles. Pourtant, trop souvent elles sont négligées, tant par les dirigeants, que par les organisations paysannes, que par leurs propres maris. Le Congo a besoin d’une approche spécifique pour renforcer les capacités des femmes paysannes. Sous l’impulsion de la LOFEPACO (Ligue des organisations des femmes paysannes du Congo), une dynamique nationale, l’ANPC (Académie nationale paysanne du Congo) est en train de se mettre en place. Il s’agit d’une alliance d’organisations de productrices et producteurs agricoles qui partagent cette vision de l’émergence de la femme paysanne comme actrice-clé dans la professionnalisation de l’agriculture familiale, à côté de son mari.  La plate-forme élabore des méthodologies de formation à partir d’une capitalisation d’expériences réussies en RDC ou ailleurs, et en offrant des stages et des échanges sur le terrain. Elles partent de leurs propres forces. Elles donnent l’exemple aux dirigeants politiques, notamment en se cotisant entre elles, mais le gouvernement n’a pas encore compris le potentiel de l’initiative et ne leur a réservé jusque-là aucun appui financier ni politique.

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Les membres de LOFEPACO discutent sur l’alimentation des lapins

Montrer aux jeunes que l’agriculture a un avenir

Aujourd’hui, les mineurs constituent 58,5% de la population congolaise, disons 58 millions de personnes. Il est impensable que les futurs gouvernements sauront créer des emplois en suffisance, pour épargner tous ces jeunes du chômage. Déjà aujourd’hui parmi les taxi-motos dans les villes, on trouve des diplômés universitaires. Les jeunes vont devoir se débrouiller. L’agriculture est un secteur où il est possible de démarrer modestement pour ensuite intensifier son entreprise. Mais les jeunes doivent y croire. Ils ne veulent pas « gratter la terre » comme leurs grands-pères et s’enfoncer dans la pauvreté. Il est plus qu’urgent de développer des modèles d’affaires agricoles qui sont porteurs d’avenir et qui peuvent mettre au travail une multitude de jeunes, pour y trouver un revenu juste plus rémunérateur que le chant de sirène des groupes armés et leurs kalashnikovs. 

Participation des agriculteurs

Mahatma Ghandi le disait déjà : « tout ce que vous faites pour moi, sans moi, vous le faites contre moi ». Le développement d’une politique agricole efficace en RDC nécessite d’une part une décentralisation, en vue de pouvoir tenir compte des particularités agroécologiques importantes dans les différentes parties du pays. D’autre part, les premiers concernés, les producteurs et productrices, doivent être invités comme parties prenantes centrales. A défaut de cela, toute innovation risque de se heurter à un refus, inspiré par le fossé entre gouvernants et gouvernés.

Les conseils consultatifs provinciaux, les CARG (Conseils agricoles ruraux de gestion) sont de bonnes initiatives, mais celles-ci ne mèneront à rien si elles ne sont pas mises en place avec une intention sincère de co-conception des politiques agricoles décentralisées. Si les gouvernements provinciaux limitent leurs actions à la distribution gratuite de tracteurs, de semences ou de plantules de café en périodes électorales, elles font preuve d’une piètre compréhension de ce que c’est que le développement agricole. Les organisations paysannes et les coopératives sont pourtant bien placées pour participer à la formulation et la mise en œuvre de la politique nationale et provinciale de développement agricole. Ne pas faire appel au savoir et aux jugements des producteurs agricoles familiaux organisés est un signe de préjugés hautains et de paternalisme mal placé envers ceux qui nourrissent la Nation.

Un climat des affaires propice

Au Congo, le climat des affaires est très malsain. Le taux de taxation sur le café par exemple dépasse les 10% de la valeur FOB, tandis que dans les pays voisins comme l’Ouganda et le Rwanda, ces taxes se limitent à entre 1 et 3 %. Evidemment, de cette façon le gouvernement ne fait qu’encourager la fraude, à ses propres dépens. Chercher à hausser encore les taxes pour compenser les pertes de la baisse de l’exportation officielle, n’est évidemment pas la bonne solution. Seule une harmonisation des taxes avec les pays voisins peut donner des chances égales aux producteurs congolais. La loi agricole déjà citée, qui exonère tous les intrants agricoles de droits d’entrée et tous les produits agricoles de droits de sortie, devrait déjà être appliquée depuis 2012, mais essayez seulement d’importer une dépulpeuse ou une décortiqueuse, vous aurez immédiatement un grand trou dans votre budget à cause de cet écrémage injuste par l’Etat.

Mais il n’y a pas que les taxes officielles. Aussitôt qu’un entrepreneur, qu’il soit agricole ou autre, développe des activités économiques, les vautours tombent du ciel en masse. Ces vautours, ce ne sont rien d’autres que la panoplie de services étatiques de différents plumages, qui ont identifié une nouvelle proie. Car celui qui entreprend, doit bien créer la richesse, et donc il faut aller manger là où il y a la bouffe.

Ils s’y prennent sans scrupules. Les taxes et pénalités les plus diverses sont imaginées en espérant intimider, même si les bases légales manquent souvent. Ils font payer 50$ pour la moindre signature officielle, sans laquelle votre dossier est bloqué. Ils imposent de grosses amendes intimidantes, pour ensuite négocier un ‘rabais’, dont le payement évidemment ne sera point documenté et sera investi dans leurs maisons de luxe ou leurs maîtresses. Et quand on les confronte avec leur attitude prédatrice, ils se réfèrent aux chefs (jusqu’au sommet) pour justifier leurs méfaits. Il faudra donc une révolution de la mentalité et celle-ci ne pourra être induite que d’en haut, par de nouveaux dirigeants qui installent une nouvelle culture politique et en recrutant une nouvelle génération. Car un grand nombre parmi les fonctionnaires en place, c’est une génération perdue : la corruption a été leur seul et unique cadre de référence tout au long de leur vie (l’héritage de Mobutu), et ils ne peuvent pas s’imaginer comment fonctionne un état sans corruption.

Les taxes routières illégales prennent une ampleur dramatique ces derniers temps. Une étude récente menée par IPIS démontre à quel point les usagers de la route sont importunés par une multitude de barrages où des soldats ou des groupes armés, souvent en connivence avec l’armée, prélèvent des droits de passages aux passants. Tous ces coûts, in fine, retombent sur les dos du producteur, qui verra son prix encore diminuer avec l’argument que les taxes routières sont nombreuses. Sans intervention forte d’un Etat de droit, de telles aberrations continueront à ponctionner inutilement l’économie de l’Est du pays. Mais alors il faudra d’abord restaurer l’autorité de l’Etat, qui aujourd’hui ne semble être qu’un souvenir lointain.

Il faudrait revoir entièrement la fiscalité pour le secteur agricole. Une coopérative ou une autre entreprise agricole naissantes ne devraient pas être taxées sur leur chiffre d’affaires (car les premières années, quand elles ne font pas encore de bénéfices, on les enfonce ainsi encore plus dans le rouge). Au contraire, il faudrait les exonérer de toute taxe jusqu’au passage de leur seuil de viabilité. Seuls les bénéfices nets devraient être imposables.

Il faut aussi repenser le rôle des administrations agricoles et rurales pour que celles-ci cessent de faire partie des problèmes et contribuent à la mise en place d’une nouvelle dynamique, constructive cette fois-ci, entre elles et les organisations paysannes, une relation de partenariat, au lieu d’une relation de tutelle. On n’a pas besoin pour cela de déployer une armée d’agronomes qui vont jouer à la police agricole. Il s’agit plutôt de faire des liens intelligents entre la recherche, les services étatiques et les organisations paysannes pour valoriser leurs complémentarités évidentes et chercher des synergies stimulantes.

Stabilité politique

Ce n’est pas un hasard que parmi les 19 pays africains où on constate une stagnation dans le développement agricole, 12 sont des pays connus pour leur instabilité notoire, comme le démontre Henk Breman dans une étude récente. Effectivement, la RDC en fait partie. Les pays africains qui ont réalisé les accroissements les plus importants de leurs rendements sont également les plus stables. Nous pouvons donc conclure à une corrélation directe entre stabilité et développement agricole.

Quand on fait des calculs des pertes causées par les déplacements des agriculteurs suite à l’insécurité, cela se chiffre immédiatement en termes de dizaines de millions de dollars, pertes qui doivent alors être compensées par l’aide alimentaire pour aider les victimes innocentes à survivre.

Tout en espérant que ce constat amènera le gouvernement congolais à rétablir proactivement la paix sur l’ensemble du territoire, notamment en abandonnant les pratiques sournoises de certains politiciens d’appuyer des groupes armés, ce serait une erreur d’attendre la paix avant de concevoir et mettre en œuvre une politique de développement agricole. L’augmentation des revenus en provenance d’activités agricoles intensifiées peut démontrer qu’il y a plus à gagner de la paix que de la guerre, et la professionnalisation de l’agriculture familiale peut ainsi devenir une stratégie performante pour contribuer à la stabilisation des zones troublées.

© Ivan Godfroid

Les champs de haricots qui approvisionnent la ville de Goma

Conclusion

L’étendue des terres agricoles, la diversité et complémentarité des climats et des zones agroécologiques, un important réseau hydrographique, des sources inépuisables en énergie hydraulique, solaire, éolienne, un énorme potentiel en matière de pêche, pisciculture, entomoculture et élevage, une biodiversité en faune et en flore parmi les plus riches de la planète, une population rurale abondante et travailleuse, la RDC a tout pour réussir sa vocation agricole naturelle. Mais le développement agricole n’est pas une simple question d’application de meilleures techniques, d’achat de meilleurs intrants ou d’injections financières. La paix, le climat d’affaires, la gouvernance responsabilisante et la vision politique sont des préalables d’une importance capitale. Créer les conditions qui encouragent le développement agricole donnerait aux agriculteurs familiaux les impulsions nécessaires pour déclencher toute leur énergie, ingéniosité et résilience. Et la professionnalisation de l’agriculture familiale deviendrait alors rapidement un acquis réel, construit sur le dynamisme de la population rurale et non pas sur les slogans creux de politiciens sans vision.

Dans les semaines à venir, prenons bien le temps d’analyser le chapitre agriculture (espérons qu’il y en aura un !) dans les programmes des différentes plates-formes et partis politiques qui se préparent aux élections du 23 décembre 2018, et aidons l’électeur à comprendre ce qui distingue la politique du ventre de la politique de la souveraineté alimentaire. De cette façon, le Congo pourra prendre peut-être un nouveau départ qui ira plus loin, cette fois-ci, que la rédaction de documents de planification nationale qui jaunissent trop vite dans les tiroirs des ministères, faute de budget, pour devenir des pièces poussiéreuses d’archives, classées sans suite.

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