Du jazz dans un bar enfumé

Fikry El Azzouzi, auteur

« Chroniqueur venimeux », voici le surnom donné à Fikry El Azzouzi par un de ses collègues auprès du journal flamand De Morgen. Sa chronique hebdomadaire nous fait souvent sourire ou ricaner mais El Azzouzi n’hésite pas à nous choquer ou déconcerter.

  • Dieter Telemans Fikry El Azzouzi. Dieter Telemans

Un jour d’hiver glacial, en janvier. Je ne le dis pas, mais je suis soulagée quand El Azzouzi propose de venir me chercher en voiture. « Je connais un bar à sushi sympa. Oui, j’en ai un peu marre des dürüms », m’avait-il répondu quand je lui avais demandé où il préférait me rencontrer. « Mais si tu as plus envie de manger un couscous ou un tajine – cliché, je sais – pas de problème. »

En tant que personne, Fikry El Azzouzi n’est pas du tout méchant ou venimeux. Le chroniqueur, auteur de théâtre et auteur du roman Het Schapenfeest (2010) donne l’impression d’être calme, plutôt timide. Il ne me regarde pas souvent dans les yeux lorsqu’il répond, ses réponses sont hésitantes, il paraît être constamment à la recherche des mots adéquats. Il admet qu’écrire est plus aisé pour lui que parler et qu’il est souvent trop timide pour s’adresser à quelqu’un qu’il ne connaît pas. Sur papier, il devient un tourmenteur méchant qui se fiche des conventions et qui n’a aucun problème à clouer le bec aux plus grands des Belges ou Flamands.

« C’est formidable de voir comment vous avez changé », a-t-il écrit dans une chronique adressée au nationaliste flamand Bart De Wever. « Vous vous êtes transformé d’un petit diable obèse et enragé à l’apparence froide en un petit diable mince et enragé à l’apparence froide. » Dans ses chroniques, El Azzouzi s’attaque à presque tout le monde : la ministre de la Justice Annemie Turtelboom, le président du parti d’extrême-droite Vlaams Belang Gerolf Annemans, Saint-Nicolas, le premier ministre Elio Di Rupo, l’ancien bourgmestre d’Anvers Patrick Janssens, les autochtones, les amoureux de la culture, l’échevin malinois Ali Salmi, les autres musulmans, les supporters de football, le ministre des Pensions Alexander De Croo (« J’aurais très bien pu comprendre que le syndicat vous compare à un schtroumpf. Les schtroumpfs sont petits et bleus et ils ont leur Schtroumpf Grognon. Votre parti est petit et bleu et il a Karel De Gucht. »), les va-nu-pieds, Sharia4Belgium, le chef de file du Vlaams Belang Philip Dewinter, le vice-ministre-président flamand Geert Bourgeois, le dictionnaire néerlandais Van Dale, la secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration Maggie De Block, le rédacteur en chef du magazine Joods Actueel Michael Freilich, le roi, les mouchards, les femmes policiers qui serviraient d’appât, etc.

Les chroniques et le style de Fikry El Azzouzi ne sont pas appréciés par tout le monde. Il reçoit chaque semaine des compliments de la part de fans enthousiastes, mais également des masses de réactions souvent très féroces. « Le dimanche noir était en 1991 ! Mon dieu, si vous êtes tellement frustré, pourquoi est-ce que vous restez encore en Belgique ? C’est qui, en fait, qui corrompt la société ? » Ou : « Nous en avons depuis longtemps marre des humiliations hebdomadaires adressées aux autochtones par FEA. » Ou encore : « Qu’est-ce qui se passerait si c’était nous les forts en gueule dans leur pays à eux ? »

El Azzouzi ne s’en fait pas. Ayant grandi en Flandre, le racisme ne lui est pas inconnu. Pour aller faire la fête, il devait aller aux Pays-Bas avec ses amis. Ce n’était pas non plus facile de trouver une maison à louer en Flandre. A l’école, on l’a dirigé vers l’enseignement professionnel, bien qu’il ait toujours eu de bonnes notes et qu’il était plutôt maladroit.

Or, Fikry-sur-papier n’est pas bloqué par ces expériences, au contraire. Il écrit ce qu’il veut et ce à quoi il pense. Même si son indignation est une source d’inspiration pour lui, il ne veut pas laisser passer son angoisse trop explicitement dans son style d’écriture, car cela ne fonctionne pas. « L’humour marche parce que les gens doivent en premier lieu avoir envie de lire quelque chose », nous dit El Azzouzi. « Mon objectif principal est simplement de mettre en avant des sujets. »

Ce n’est pas toujours évident de lire entre les lignes de son ironie et de savoir quelle importance il attache à un sujet. Lorsque le journal De Morgen a décidé en 2012 de ne plus utiliser le mot allochtone, El Azzouzi a plaisanté dans sa chronique qu’il avait peur de perdre son identité. Fikry-en-personne ne doit pas y réfléchir longtemps. « Je trouve cela bien qu’on n’utilise plus le mot allochtone », répond-il sans hésiter. Il a aussi une opinion bien tranchée sur la question du Père Fouettard toujours noir. « Je trouve que c’est raciste. Je ne peux pas comprendre que les gens disent que c’est simplement une tradition. »

A part ses chroniques, Fikry écrit des pièces de théâtre ; il est également en train de réaliser un petit livre pour le musée du club de foot Red Star Waasland à Anvers et élabore un scénario de film. Sa passion réside cependant avant tout dans la littérature. Actuellement, il travaille à son deuxième roman, qui devra paraître à la fin de l’année. Ses yeux brillent lorsqu’il en parle. « Ce sera une chronique de famille qui s’inscrit dans la tradition du réalisme magique. Il y aura beaucoup de personnages et de profondeur, des sauterelles qui parlent et des djinns, des créatures qui peuvent prendre une forme humaine ou animale et qui possèdent des pouvoirs surnaturels. »

El Azzouzi doit son succès à un mouton qui parle ainsi qu’au petit garçon mi flamand-mi marocain Ayoub et ses venimeuses sœurs Le Monstre (« Het Gedrocht ») et Al Jazeera, les personnages qu’il met en scène dans son premier roman Het Schapenfeest (« La fête du mouton »). L’intrigue est simple comme dans un livre pour enfants, mais la dureté de la réalité qui se cache sous tous les dialogues drôles met en évidence très clairement qu’il s’agit bel et bien d’un roman pour adultes. Une réalité dure comme l’acier et tranchante comme un rasoir, emballée dans une jolie boîte.

El Azzouzi a toujours adoré lire. Il a commencé à écrire après avoir lu des livres dont il a pensé : je peux faire cela mieux moi-même. « J’ai grandi dans un environnement où la question posée n’était pas quel livre j’étais en train de lire, mais plutôt pourquoi j’étais en train de lire. »

Il ne considère pas ce passé comme un handicap, mais plutôt comme un élément qui anime ses histoires, un peu comme du jazz joué dans un bar enfumé et non pas dans les couloirs d’un conservatoire.

Il avait déjà plus de 25 ans lorsqu’il a commencé à écrire des chroniques pour le site web de la plate-forme interculturelle Kif Kif et à travailler sur son premier roman. Pendant un mois, il a écrit tranquillement dans un appartement de l’association flamande d’auteurs PEN Vlaanderen. Mais la plus grande partie de son livre a vu le jour pendant ses shifts en tant que garde de nuit pour une compagnie d’énergie. Aujourd’hui, il exerce toujours ce métier, mais il ne sait pas pour combien de temps encore. « En fait, écrire est mon boulot. »

Le serveur voyant qu’El Azzouzi a des problèmes pour manger avec des baguettes lui apporte une fourchette et un couteau. Il lui donne aussi une paire de baguettes emballées « pour pratiquer un peu à la maison, mais ici, on va fermer… », comme il dit laconiquement. Je demande à El Azzouzi quels sont ses auteurs préférés. Il me parle de Tom Lanoye et d’Eric Vlaminck, ainsi que de l’humour noir et juif d’Arnon Grunberg et Edgar Hilsenrath.

Le problème qui l’inquiète le plus, est la banalisation du racisme. « Que les gens s’excusent avant de commencer un propos raciste et que, du coup, ils ne se sentent plus racistes. Qu’ils aient une explication pour tout, les agences intérimaires, les propriétaires, les discothèques. Où est-ce qu’on peut encore trouver un emploi quand on porte le voile, à moins que quelqu’un ait encore en urgence besoin d’une femme de ménage ? »

Et un élément qui lui donne vraiment espoir ? « La Belgique championne du monde. Grâce aux allochtones », prononce-t-il en ricanant calmement. Cela me prend un peu temps pour comprendre que ce n’est pas entièrement une blague. Il m’assure que nous avons aujourd’hui une des meilleures équipes du monde. « Kompany, Lukaku, Benteke, Fellaini et Hazard sont parmi les meilleurs joueurs du monde et ils sont tous encore très jeunes. » C’est la nouvelle génération de Belges qui va réhabiliter la réputation de notre pays.

Une semaine après notre rendez-vous, je regarde avec fascination la pièce de théâtre Troost, interprétée par les cinq acteurs de la compagnie de théâtre SIN. L’un des acteurs est El Azzouzi, qui incarne plusieurs personnages assez psychopathes. Ceux-ci sont la personnification de tout ce qui est incorrect et froid, mais frêle aussi dans notre société d’aujourd’hui. Ils sont également drôles et créatifs. Les acteurs Ikram Aoulad et Junior Mthombeni performent aux côtés du groupe de hip-hop anversois NoMoBS. Le langage théâtral métaphorique d’El Azzouzi est combiné à des beats retentissants et des textes en dialecte d’Anvers, en marocain, français et anglais. Le podium et la salle sont remplis de l’avenir de la ville.

Malgré son indignation à propos de la vie quotidienne en Flandre, El Azzouzi crée des pièces accessibles et généreuses. Il écrit pour un large public, avec qui il partage son propre milieu de vie, tant magique que réaliste, tant flamand que marocain, sans réserve ni scrupule. Cela se traduit par une présence dans le paysage littéraire flamand qui est souvent hilarante, mais aussi dure comme un caillou et vulnérable. El Azzouzi montre que le futur commence aujourd’hui et que ce futur, tout comme nos joueurs de foot belges, est la chose la plus prometteuse dont nous disposons aujourd’hui.

 

La pièce Troost a été jouée au théâtre ‘t Arsenaal à Malines le 2 mars.

Le roman Het Schapenfeest écrit par El Azzouzi est paru en 2010 chez Van Gennep.

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