L’Égypte africaine veut son propre printemps

L’Égypte est aussi africaine qu’arabe. C’est ça ce que disent les Nubiens en Égypte, qui luttent pendant près de cinquante années pour l’égalité et la reconnaissance. Un an et demi après la révolution, ils sont fermement décidés à en finir avec l’inégalité.

  • CC Kostas Kokkinos Village nubien. CC Kostas Kokkinos
  • Dirk Wanrooij Gamal Hamza et Ahmed Kajouji. Dirk Wanrooij

Sur les murs crème – dans le temps égaux – du parlement égyptien au cœur du Caire un message dans de lettres rouges hâtives s’adresse à la représentation nationale du pays : Ayna haqq al nuba ? Où sont les droits des Nubiens ? Un signe des temps ! La question nubienne a été un sujet tabou pendant des années, mais dans l’Égypte postrévolutionnaire encore chaque jour des tabous sont transgressés et des groupes marginalisés essayent de formuler leurs souhaits et exigences. Fatma Emam fait partie de cette nouvelle génération d’égyptiens. La révolution a formé sa conscience politique et l’a transformé en une jeune femme engagée. Comme féministe nubienne d’une vingtaine d’années et cofondatrice de l’Union de jeunesse nubienne démocratique elle est l’une des porte-paroles d’une nouvelle génération d’activistes qui luttent pour une nouvelle Égypte dans laquelle l’identité nubienne est respectée.

Dans son bureau sombre de la capitale égyptienne Le Caire elle raconte comment son ascendance nubienne était – pour elle aussi - une découverte. ‘Mes parents sont des Nubiens arabisés et des Cairotes de souche. Ils n’en savaient rien de notre patrie d’antan et l’Égyptien moyen en sait encore moins. Ce n’était que lorsque j’avais entamé mes études de politicologie que je me suis rendue compte du fait que j’appartenais à une minorité ethnique – ensemble avec 5 millions d’autres – qui n’est pas reconnue comme telle.

Emam continue : ‘Pendant la révolution nous avons participé comme des Égyptiens et non pas comme des Nubiens. Nous n’utiliserions pas de devises sur la question nubienne afin de garder l’uniformité tellement nécessaire pour expulser Moubarak. Après son départ, il y aurait assez de temps pour lancer le débat sur les droits des Nubiens, et c’est ça ce qu’on fait aujourd’hui.’

Avec ‘notre patrie d’antan’, Emam fait référence à ce qui était connu dans l’Antiquité comme ‘le Pays d’Or’ entre le premier et le sixième rapide du Nil. C’est à cet endroit, aujourd’hui la zone frontalière entre l’Égypte et le Soudan, que les Nubiens ont vécu pendant des milliers d’années sur le rythme constant de la nature, sur les bords du Nil.

Une série de barrages – dont le dernier, le très connu haut barrage d’Assouan, fut terminé en 1970 – ont fait fin à la façon nubienne de vivre. Quarante-quatre villages nubiens au sud d’Assouan devaient faire de la place en 1964 pour le lac Nasser, un des lacs artificiels les plus grands du monde, qui porte le nom de l’ancien président et initiateur du haut barrage, Gamal Abdel Nasser. Les Nubiens appellent cet événement ‘al-tahgir’, ‘la migration forcée’. ‘Le Pays d’Or’ est devenu un pays d’eau et les Nubiens ont du déménager.

La question nubienne

Gamal Salah Hamza, un Nubien costaud qui frôle les soixante-dix ans, vit dans le village poussiéreux de Balana, une dizaine de kilomètres au nord-est d’Assouan. Son village est un des villages neufs construits dans la zone Nasser El-Nuba à laquelle les Nubiens ont été transportés en masse après la construction du haut barrage. Avec la voix rauque mais pleine de passion, il raconte dans la salle de séjour simple de sa maison de l’injustice que lui et son peuple ont dû subir.

‘J’avais vingt ans quand, un beau jour, on nous a raconté qu’on devait déménager, soi-disant pour servir l’intérêt national. L’Égypte entière serait munie d’électricité grâce à ce nouveau barrage et, pour cette raison, nous devions céder. Toutefois, l’électricité du barrage a été vendu et nous n’avons rien vu des revenus.

‘En plus’, on nous disait, ‘le nouvel endroit serait au moins aussi bien que l’ancien. On nous a promis monts et merveilles et nous étions incroyablement naïfs. En fin de compte, nous nous sommes laissés embobiner.

Les murs de la maison de Gamal Hamza sont pleins de lézardes. Les portes et les fenêtres sont accrochées de travers dans leurs encadrements et des câbles percent le toit. ‘Le terrain ici n’est pas constructible, c’est un désert. Le sable sur lequel se trouvent les maisons n’est pas stable, avec des affaissements comme conséquence.

Dans le temps, avant la migration, nous vivions dans des maisons magnifiques qui cadraient avec les environs et le climat. Nous y vivions en parfaite harmonie avec la nature. Ici, nous nous sentons comme des poissons hors de l’eau.

Son compagnon Ahmed Kajouji, de soixante-quatre ans, et le directeur local de la Confédération nubienne générale, fait chorus avec lui. ‘Les maisons que nous rencontrons ici à Nasser El-Nuba, les terres arables, l’eau, l’infrastructure, tout était d’une qualité inférieure et hâtivement sorti de terre. Nous avons du faire beaucoup nous-mêmes ici et nous n’avons jamais été récompensés pour cela. Les autorités compétentes réagissent toujours avec indifférence lorsque nous abordons nos problèmes.

Pourtant, le côté matériel de l’histoire n’est de moindre importance. En sirotant un verre d’abreq – une boisson nubienne traditionnelle du ramadan qui contient du jus de citron, des miettes de pain, de l’eau et du sucre – Kajouji accentue que la catastrophe la plus grande, c’est la perte de culture. ‘Le peuple nubien était uni avec la rivière, le Nil était notre tout. Nos histoires, nos coutumes et notre culture sont évolués à leur forme actuelle à côté du cours d’eau du Nil. Une culture avec une histoire de plus de six mil ans. Maintenant nous sommes déracinés et nous vivons à plus de vingt kilomètres de la rivière dans une région poussiéreuse et aride.

Le déracinement mentionné par Kajouji a eu des conséquences énormes au niveau social pour la minorité nubienne en Égypte. Beaucoup d’entre eux, au lieu de s’installer sur les terres inférieures de Nasser El-Nuba, sont partis à des villes comme le Caire et l’Alexandrie, où ils sont arrivés en bas de l’échelle sociale. Dans de nombreux cas, ils ne disposaient pas des habilités nécessaires pour survivre fructueusement en ville, et ils étaient confrontés au racisme. Pendant longtemps, l’on appelait les Nubiens des ‘barbar’, un mot qui provient de ‘barbare’ ou ‘abd’ et qui signifie ‘esclave’. Le concierge, cireur ou domestique nubien un peu bête, mais loyal est un stéréotype très célèbre dans la culture populaire égyptienne.

Les Nubiens étaient et sont toujours confrontés au racisme. Pendant longtemps, on les appelait ‘barbar’ ou ‘abd’, ce qui signifie ‘esclave’.
Selon Hassan Gamal, professeur d’anglais et membre du bureau d’une association nubienne dans le quartier populaire cairote de Sayyida Zeinab, cette image se maintient toujours. ‘Ce stéréotype est répété dans des livres d’enfants et des films, et même dans le matériel pédagogique officiel. Nous ne pouvons pas continuer à accepter cela. Dans la question nubienne, il ne s’agit donc pas uniquement de terre ou d’autres affaires matérielles, sinon aussi de reconnaissance culturelle et de respect.’ Également selon Gamal Hamza et Ahmed Kajouji la question de la terre n’est pas la plus importante. ‘Les rives du lac Nasser sont à peine fertiles’, dit Kajouji. ‘Avant d’aller là-bas, il nous faudrait investir beaucoup dans l’environnement et cela n’est pas réaliste. À chose faite point de remède. Toutefois, il est important que nous, comme Nubiens, sommes impliqués dans le futur de ce terrain. Sous Moubarak, de grands morceaux de terre étaient vendu à des investisseurs riches, souvent étrangers, et l’on ne tenait pas compte des désirs de la population nubienne originelle. On nous a nié notre relation avec cette zone. Ça ne peut pas continuer comme ça : nous nous opposerons à une telle politique.’

Les mots de Kajouji ne sont pas sans importance. Le 19 juillet quelques centaines de jeunes nubiens en viennent aux mains avec la police après une manifestation contre la vente d’un terrain sur le bord du lac Nasser à un investisseur saoudien. Après l’intervention du président frais émoulu Mohamed Morsi, la vente a été annulé. Néanmoins, la question de savoir si le nouveau gouvernement adoptera réellement une nouvelle politique vis-à-vis des Nubiens reste.

Une perspective de sécurité

Depuis l’indépendance égyptienne l’armée joue un rôle central dans la politique égyptienne. En 1952 après avoir fait un coup d’État militaire, le colonel populaire Gamal Abdel Nasser a établi la première république. Dans presque chaque pays de la région la lutte pour l’indépendance s’enflamme et Nasser s’est profilé comme porte-parole de ce qu’il appelait la nation arabe. Cette théorie du nationalisme arabe n’accorde pas de place aux minorités et nie systématiquement l’existence de minorités ethniques comme les Nubiens, les Amazighes et les Berbères dans d’autres parties de la Sahara. Par conséquent, la question dit nubienne était un tabou en Égypte pendant des décennies. L’état militaire égyptien sous Moubarak et sous les présidents antérieurs s’est approché des désirs des Nubiens pour des raisons de sécurité : une minorité ethnique à côté de la frontière sud de l’Égypte qui s’identifie à une minorité ethnique au Soudan constituait une vraie menace pour l’Égypte.

La langue nubienne – pas du tout apparentée à l’arabe – s’est présentée comme un dialecte de l’arabe et ainsi l’histoire nubienne était effacée de la mémoire commune petit à petit. La tête de l’armée égyptienne répand toujours ces idées. Les généraux âgés unis dans le Haut Conseil Militaire, qui ont pris le pouvoir après Moubarak en février de l’année passée, descendent presque tous de l’ère de Nasser. Et même si le pouvoir a été officiellement relégué au président Mohamed Morsi- le premier président sans passé militaire - les forces armées auront leur mot à dire.

En cela la question nubienne est directement liée à la transition égyptienne. Le rôle de l’armée dans la nouvelle Égypte a été la pierre d’achoppement dans la transition de la dictature à la démocratie. Les intentions de l’armée se sont rendues claires dans un amendement du Haut Conseil Militaire le 19 juin dernier. La déclaration constitutionnelle indique que l’armée garde la responsabilité finale pour la sécurité intérieure et la stabilité régionale.

‘La lutte des Nubiens est donc lié à la lutte plus ample pour les droits de l’homme et pour la démocratie en Égypte’, affirme la Nubienne quarantenaire Manal Al-Tibi. Elle engage le combat dans la ligne de feu de la transition politique. Comme directrice du Centre égyptien du droit de logement et comme activiste nubienne connue, elle fait partie de la réunion constitutionnelle de cent membres qui doit rédiger la nouvelle constitution. Elle est d’avis que la pensée de sécurité nationaliste fasse partie du patrimoine militaire du régime de Moubarak. ‘Et cela est toujours très enraciné dans la société égyptienne. J’éprouve énormément de résistance et de racisme dans la réunion constitutionnelle lorsqu’il s’agit des droits des Nubiens.’

Dans la version conceptuelle de la nouvelle constitution l’Égypte est décrit comme ‘une partie naturelle de la nation arabe et islamique.’ Plus loin l’on peut lire que ‘l’Égypte a de forts liens avec l’Afrique.’ Selon Al-Tibi cette description synthétise bien le problème. ‘L’Égypte est aussi africaine qu’arabe, mais cela, on ne l’entendra jamais en Égypte. Le succès de cette révolution dépend pour moi de la mesure dans laquelle nous pouvons en finir avec ces idées arriérées et vieux jeu sur l’identité qui tiennent ce pays pendant cinquante années dans une poigne de fer.

Fatma Emam s’associe à ces paroles. ‘C’est absurde de limiter l’identité autant. Je rêve d’un futur dans lequel je peux être librement nubienne, égyptienne, africaine, arabe, musulmane et féministe sans que ces notions se télescopent. Le temps est arrivé pour tous les égyptiens de creuser ensemble les fondations pour ce futur. Nous avons la mission de terminer avec le racisme institutionnalisé et l’abus de pouvoir et nous avons l’opportunité de rédiger un nouveau contrat social dans lequel l’égalité compte le plus et l’identité nubienne et le patrimoine culturel nubien sont respectés.’

Elle dit avec confiance : ‘Pour cela, il faut faire du bruit. En amont des élections présidentielles chaque candidat se sent obligé à adopter un point de vue sur le sort des Nubiens. Maintenant, c’est à nous de faire en sorte qu’ils ne se contentent pas de belles paroles.’

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